Alors que le musée du Grand Siècle ouvrira ses portes à Saint-Cloud en 2025, les chercheurs français travaillent à la réévaluation de la peinture du premier XVIIe siècle.
Lors de la conférence de presse qui a suivi la première visite de la caserne Sully, le 6 novembre dernier, le président des Hauts-de-Seine, Patrick Devedjian, a surpris l’auditoire en annonçant, non sans humour, que le futur musée du Grand Siècle serait « le musée du Grand Siècle, malgré Louis XIV ». La remarque était loin d’être anodine pour ce féru du XVIIe siècle qui ne jure que par les ouvrages d’Arthéna, l’Association pour la diffusion de l’histoire de l’art, et qui est bien au fait des travaux en cours – ceux-ci contribuant largement à l’évolution du paysage pour le premier XVIIe siècle.
Des historiens en ordre de marche
À partir du début des années 1970, les recherches de Jacques Thuillier et Pierre Rosenberg sur Laurent de La Hyre, les frères Le Nain, Jean Boucher, Jacques Blanchard, Simon Vouet, Sébastien Bourdon, Jacques de Bellange, Lubin Baugin, Jacques Stella et Jean Restout, suivies de la publication, par les éditions Arthéna, des monographies de Gaspard Dughet, Claude Vignon, Charles Poerson, Jean Jouvenet, Eustache Le Sueur, Nicolas Régnier ou encore Guy François, ont permis de revaloriser des pans entiers du premier XVIIe siècle. Seuls les chefs- d’œuvre de Georges de La Tour, Nicolas Poussin ou Claude Lorrainétaient jusqu’alors appréciés par le public des musées français. Dans cette lignée, toute une génération de jeunes chercheurs français parti- cipe, depuis une quinzaine d’années, à ce grand chantier qui vise à mettre à jour les parcours d’artistes, dont encore peu d’œuvres étaient identifiées jusqu’à récemment. Les thèses de Frédérique Lanöe sur Philippe de Champaigne, de Delphine Bastet sur les Mays de Notre-Dame de Paris, de Mylène Sarant sur l’influence des romans grecs dans les beaux- arts ou de Damien Tellas sur les plafonds peints des années 1630 à la Fronde, ainsi que les publications en cours de Dominique Jacquot sur Simon Vouet et Nicolas Milovanovic sur les frères Le Nain, sont aussi emblématiques que les dernières expositions dédiées à Valentin de Boulogne ou à Nicolas Régnier. L’exemple de Quentin Varin, maître de Poussin et auquel Guillaume Kazerouni a récemment consacré un dossier « Collection » du musée des Beaux-Arts de Rennes, est éloquent. Le Christ au jardin des Oliviers exposé au musée national des Beaux- Arts du Québec, et La Descente de croix, de l’église Saint-Valérien (Châteaudun), représentent des ajouts aussi riches que les cinq scènes du château de Lésigny pour un peintre qui est souvent réduit aux seuls tableaux des églises Saint- Joseph-des-Carmes (Paris) et Saint- Louis (Fontainebleau).
L'exposition première
Depuis la soutenance de son DEA en 2000, effectué sous la direction d’Alain Mérot et intitulée La Peinture religieuse à Paris au temps d’Henri IV et de Marie de Médicis, Guillaume Kazerouni a mené une intense campagne pour attirer l’attention sur la richesse de ce patrimoine, en partie délaissé. En 2008, Jeanne Faton accepte de lui confier un numéro spécial de Dossier de l’art, qu’il intitule Peintures françaises du XVIIe siècle dans les églises de Paris. La persévérance de Guillaume Kazerouni n’est un secret pour personne ; il réitère, deux ans plus tard, avec un équivalent sur le XVIIe siècle. Pour lui, les églises parisiennes constituent les plus anciens musées de la capitale, où sont conservés aujourd’hui environ trois cent cinquante tableaux français du XVIIe siècle, soit la plus importante collection de peinture française du Grand Siècle, après celle du Louvre. De nombreux inédits ou œuvres qu’il s’est évertué à réattribuer au cours de ces dernières années s’y trouvent. Il n’en était pas à son coup d’essai. Formé auprès de Sylvain Béguin et Sylvain Laveissière, au département des Peintures du Louvre, il a multiplié, depuis sa maîtrise sur Nicolas Chaperon, les travaux sur le premier XVIIe siècle, en s’intéressant successivement à Ambroise Dubois, à Jean Bassange, au « mystérieux Cesare Augustus Ferrarien », à Claude Deruet, à Frère Luc, l’un des artistes qu’il a contribué à faire redécouvrir, à Quentin Varin, mais aussi à Simon Vouet.
« Les Couleurs du ciel. Peintures des églises de Paris au XVIIe siècle », exposition au musée Carnavalet dont il a assuré le commissariat en 2012-2013, en partenariat avec la Conservation des objets d’art religieux et civils de la Ville de Paris (Coarc), a ainsi marqué un tournant. Elle couronne un conséquent travail de recherche, d’une vingtaine de réattributions, et a permis de restaurer plus de soixante-dix œuvres, qui n’étaient plus accessibles dans de bonnes conditions depuis longtemps. Dans la foulée, le musée d’Arts de Nantes, le musée de Peinture et de Sculpture de Grenoble et le musée des Beaux-Arts de Nancy ont proposé des accrochages de leurs propres fonds, issus des églises parisiennes. En 2017, le Petit Palais, lui, a accueilli « Le Baroque des Lumières. Chefs-d’œuvre des églises parisiennes au XVIIe siècle », mais le véritable pendant de « Couleurs du ciel » a été « Le Fabuleux Destin des tableaux des abbés Desjardins. Peintures des XVIIe et XVIIIe siècles des musées et églises du Québec ». Cette exposition a été présentée en 2017-2018 au musée national des Beaux-Arts du Québec et au musée des Beaux-Arts de Rennes, où Guillaume Kazerouni est responsable des collections anciennes depuis 2013. Comme l’expliquait alors Pierre Rosenberg, c’était « un secret bien gardé depuis longtemps : on en avait entendu parler, un visiteur de retour du Québec vous en glissait un mot en confidence, une note en dernière page d’un article y faisait allusion. La Belle Province conservait un trésor et, comme tous les trésors, un trésor bien caché. » Lorsque le patrimoine des églises parisiennes fut dispersé pendant la période révolutionnaire, les abbés Desjardins acquirent en effet cent quatre-vingts tableaux, principalement d’artistes français, datant des XVIIe et XVIIIe siècles et portant sur un sujet religieux. L’immense majorité de ces œuvres avait été oubliée dans les églises et musées canadiens pendant presque deux siècles. Leur redécouverte représente un apport notable pour les dizaines de chercheurs appelés à les étudier de manière collégiale, à l’occasion de la préparation de l’exposition.
Renouveler l'approche de la peinture du Grand Siècle
Or, réduire les travaux des chercheurs français au simple connoisseurship serait injuste, puisque l’histoire sociale et culturelle a fourni de nouvelles clés pour apprécier l’histoire de l’art religieux du XVIIe siècle, et notamment l’influence du rituel et de la liturgie dans la création religieuse, les évolutions de l’iconographie et les liens entre peintres et commanditaires. En faisant sortir de l’oubli et en datant des dizaines d’œuvres, les universitaires réécrivent surtout l’histoire de l’art et posent des problématiques originales, telles que la place des femmes artistes au début du XVIIe siècle, le rôle de l’image, la place et l’usage du tableau dans l’environnement qui l’a vu naître ou les conséquences de l’histoire sur l’œuvre d’art.
Mais, au-delà de ces apports, les recherches de cette nouvelle génération d’historiens d’art contribuent largement à enrichir les collections publiques françaises. Depuis six ans, le musée des Beaux-Arts de Rennes, où officiait le « Robin des bois des peintres oubliés », a acquis des œuvres de Nicolas Prévost, Jean Senelle, Jean Tassel, Lubin Baugin, Antoine Bouzonnet-Stella, Noël Coypel, Madeleine Hérault et Jacques de Létin. L’institution a sollicité, auprès du musée du Louvre, les prêts, à long terme, de Suzanne et les vieillards de Michel Dorigny etLa prudence amène la paix et l’abon- dance de Simon Vouet. Elle s’apprête par ailleurs à accueillir quelques- uns des plus beaux tableaux du XVIIe siècle, empruntés au musée des Beaux-Arts de Reims, pendant la durée de ses travaux.
« Les recherches decette nouvelle génération d’historiens d’art contribuent largementà enrichir les collections publiques françaises. »
À partir de 2025, le musée du Grand Siècle présentera la collection de Pierre Rosenberg, où figurent en bonne place Lubin Baugin, Jacques Blanchard, Sébastien Bourdon, Philippe de Champaigne, Jean Jouvenet, Charles de La Fosse, Laurent de La Hyre, Jacques Stella, Claude Vignon ou Simon Vouet. Des œuvres de Nicolas Chaperon, Michel Corneille l’Ancien, Michel Corneille le Jeune, Louis Cretey, Charles Dauphin, Juste d’Egmont, Henri Mauperché, Charles Mellin, Adrien Sacquespée et Jean Tassel seront également exposées, ainsi que celles de dizaines d’anonymes, sur lesquels se pencheront, à n’en pas douter, les mêmes chercheurs que Guillaume Kazerouni invite à participer à toutes ses publications depuis 2013.