« Lors de ma candidature, j’ai dû constituer un dossier. J’ai fait beaucoup de recherches en amont. La résidence a donc commencé avant que je ne sois admise pour mener à bien ce projet », explique Giulia Andreani. Née en 1985, formée à l’École des beaux-arts de Venise avant de venir étudier l’histoire de l’art contemporain à l’université Paris IV-Sorbonne, elle décide de se consacrer aux premières femmes ayant eu accès au prix de Rome. «J’ai été bonne élève, j’ai postulé en cochant deux cases, “arts visuels” et “histoire de l’art”. J’avais annoncé que je passerais la première partie de la résidence dans les archives de la Villa, afin de compléter mes premières recherches à Paris. » Exhumer la mémoire de ces femmes oubliées la passionne et lui fait découvrir l’histoire de la Villa Médicis, plus particulièrement celle « un peu turbulente entre Carolus-Duran [directeur de 1905 à 1913] et les années 1940 ».
Elle accède alors aux archives, et notamment à la correspondance dont la numérisation était en cours à la bibliothèque. « Mais j’ai été très étonnée que la Villa soit autant immergée dans un contexte urbain, j’étais très stressée en arrivant, je pensais ne pas pouvoir y travailler », partagée entre « la beauté de la Villa dans laquelle on se trouve happée » et « l’atmosphère extrêmement chaotique du centre de Rome ». La Villa Médicis, une tour d’ivoire sur le mont Pincio, d’où l’on embrasse du regard la Ville éternelle ? Ce décor de rêve, entre dolce vita et palais Renaissance, à l’écart du monde, a tétanisé plus d’un pensionnaire. Pour Giulia Andreani, cette parenthèse enchantée « n’a rien eu d’une cage dorée à l’atmosphère monastique. Rome n’est pas un centre de l’art contemporain mais il y a des galeries, des musées… Et beaucoup de gens passent, on n’est pas isolés. J’avais plein d’a priori, j’imaginais un lieu très fermé. Or c’est un lieu ouvert, où le fonctionnement est assez souple. On fait de la Villa Médicis ce que l’on veut : y rester en permanence, sortir beaucoup dans Rome, voyager, rester seul ou lier des connaissances. »
La rencontre serait à ses yeux le maître mot de cette expérience : «J’ai passé beaucoup de temps sur place et me suis liée avec d’autres pensionnaires. Sans compter que le milieu parisien se déplace à Rome. J’y ai rencontré des personnes qui ne seraient pas venues à mon atelier à Paris ! À la Villa Médicis, on est en permanence sous le feu des projecteurs. C’est un aspect que je n’avais pas envisagé. Par moments, on se sent comme dans une écurie de poneys de course ! Cela peut être très bien, ouvrir des portes, mais c’est perturbant lorsque l’on est dans une dynamique de travail. En tant qu’artiste, il faut apprendre à le gérer. Il y avait, surtout le jeudi, une sorte de boulimie de l’événementiel, ce dont nous nous sommes plaints à la directrice de l’époque, Murielle Mayette. Mais globalement, c’était génial. »
Une parenthèse libérée des considérations matérielles
Quid de la visibilité que confère une résidence aussi prestigieuse ? « Dans notre petit milieu, l’entre-soi de l’art contemporain, la Villa Médicis est bien sûr connue. J’ai réalisé que cela parlait à des gens qui n’ont rien à voir avec cet univers. Les jeunes filles avec qui j’ai travaillé en banlieue parisienne connaissaient Picasso mais avaient aussi entendu parler de la Villa Médicis, très médiatisée. Avoir été pensionnaire faisait de moi une artiste pour de vrai. En Italie, la Villa Médicis n’est pas du tout connue en dehors de Rome, on ne peut pas parler de rayonnement. Jan Dibbets, un artiste conceptuel assez génial, m’avait dit : “La France, c’est le pays du mondialement connu en France !” »
Reste qu’elle reconnaît volontiers les atouts de cette résidence qui offre une bourse pour développer un travail, libérant un temps des questions matérielles. « Pour moi, cette résidence a été formidable à ce moment-là. Fréquenter des gens d’horizons différents a été très enrichissant. Ceux dont j’étais la plus proche n’étaient pas forcément des plasticiens mais un historien d’art spécialiste de l’art moderne, un écrivain, un compositeur de musique contemporaine. On apprend beaucoup de choses. Étant italienne, passée par une formation académique, j’apprécie cette idée d’être de tel atelier. Il y a aussi un esprit de promotion. Certains détestent. Mais loin du “service militaire pour artistes” parfois moqué, c’est un luxe, un grand privilège. On y travaille beaucoup. Et on grandit. »
L’atterrissage peut s’avérer compliqué après plusieurs mois passés dans un tel contexte. Au retour, elle constate que le rapport au temps et aux autres y était très différent. « J’étais logée dans l’une des petites maisons modernes de l’autre côté du bosco, ce qu’Hervé Guibert avait baptisé Sarcelles… Mais c’était merveilleux ! On peut aller à pied à l’atelier à travers des jardins magnifiques. Je traversais l’allée avec des grosses marmites de minestrone ou de pasta pour aller voir mes voisins. Il y avait un côté famille, presque communautaire. J’ai eu une chance extraordinaire. Après, la réalité matérielle nous rattrape, d’autant plus à Paris, une ville extrêmement chère. » À défaut d’avoir bénéficié d’une exposition de fin d’année à Rome, elle a montré ses œuvres produites à la Villa Médicis et les toiles achevées à Paris au musée des Beaux-Arts de Dole, a exposé à Labanque, à Béthune, et récemment à la galerie Max Hetzler, à Paris, « la galerie de [ses] rêves ».