À 44 ans, vous prenez la tête d’Art Unlimited, qui est la grande vitrine d’Art Basel. Qu’est-ce qui vous a amené à devenir commissaire d’exposition ?
Je suis un omnivore. J’ai toujours été curieux de tout, en particulier en ce qui concerne l’art contemporain. J’avais l’impression que travailler sur des projets avec des artistes pouvait être stimulant sur le plan intellectuel. Mais, davantage que l’écriture, la forme de l’exposition me semblait plus intéressante du point de vue de la médiation. À mes yeux, elle est le moyen le plus naturel et le plus instinctif d’approcher et de comprendre l’art contemporain.
Vous êtes né dans le canton du Tessin où, pendant longtemps, l’art contemporain a été mal représenté. Quel a été votre parcours ?
À mon époque, il n’y avait pas d’université dans le Tessin. Il fallait donc en partir pour étudier. J’ai suivi des cours d’histoire de l’art à Lausanne pendant un an. C’était au milieu des années 1990. J’y ai rencontré des gens comme Philippe Decrauzat, qui étudiait l’histoire de l’art et du cinéma avant de devenir l’artiste que l’on sait. Ensuite, j’ai déménagé à Zurich afin de me nourrir d’art contemporain car, pour moi, le cœur de la scène artistique suisse se trouvait là-bas. Pendant mes études, j’ai commencé à organiser des expositions, dont une dans des bunkers [en 2002]. J’ai aussi travaillé au Kunstraum Walcheturm, à Zurich, et ouvert un espace dédié à l’art dans le canton du Tessin. J’ai finalement postulé à la direction de la Kunsthalle de Saint-Gall, où j’ai été engagé [en 2007].
Vous avez beaucoup bougé et côtoyé très tôt de nombreux artistes. Vous avez d’ailleurs la réputation d’être proche d’eux.
Difficile de faire autrement lorsque vous travaillez dans une Kunsthalle. L’artiste qui réalise seul son œuvre dans son atelier n’est plus la règle. Monter une exposition aujourd’hui réclame un effort collectif en termes de développement du contenu, de production, de financement et de défi technique. La grande force de notre génération est de pouvoir travailler en étroite collaboration les uns avec les autres.
« Monter une exposition aujourd’hui réclame un effort collectif en termes de développement du contenu, de production, de financement et de défi technique. »
Et notamment avec les artistes suisses romands, tel Valentin Carron, qui vous a choisi comme commissaire lorsqu’il a représenté la Suisse à la Biennale de Venise en 2013.
Je suis francophile, voire « romandophile ». J’ai toujours entretenu beaucoup de contacts en Suisse romande et nourri un grand intérêt pour ce qui s’y passe. J’essaie de m’y rendre le plus souvent possible. Mes facilités avec la langue française m’ont permis de rencontrer beaucoup de gens. J’appartiens aussi à une génération qui a vécu le système de l’art avant l’émergence d’Internet. Et qui n’hésite pas à se déplacer pour voir ce qui se passe ailleurs plutôt que de se contenter de faire défiler des photos sur Instagram. Ceci dit, la scène helvétique, si elle est certes très active, reste réduite. À mes yeux, il n’y a pas vraiment de différences entre un artiste alémanique et un artiste romand. La base du travail reste un respect mutuel et partagé, ce qui est le cas avec Valentin Carron qui, à l’époque, m’avait demandé de l’accompagner dans cette aventure.
Vous avez secondé Bice Curiger lorsqu’elle a organisé la Biennale de Venise en 2011. Depuis trois ans, vous présidez la Commission fédérale d’art. Vous vous occupez désormais d’Art Unlimited. Votre carrière est assez fulgurante !
J’ai eu de la chance, bien sûr. J’ai toujours eu la possibilité d’intervenir sur des projets passionnants, qui m’ont fait avancer. Même si j’ose espérer que c’est aussi parce que je travaille bien que les gens me font confiance…
Avez-vous déjà réfléchi à votre première édition d’Art Unlimited, en 2020 ?
Les attentes de la direction d’Art Basel ne sont pas forcément commerciales. À ce niveau-là, je ne subis donc pas de pression. Mon objectif prioritaire est de faire venir des projets intéressants, qui puissent engager un public varié. Art Unlimited est né de l’idée de montrer des œuvres de grandes dimensions qui ne trouvaient pas leur place dans la foire. Avec le temps, cette section a évolué. Elle n’est plus seulement le lieu où les galeries présentent d’immenses pièces; elles peuvent y mettre sur pied des projets ambitieux et spécifiques avec leurs artistes. Ce qui est une approche assez différente. Dans cette optique, le modèle d’Art Unlimited est pour l’instant le meilleur. On peut l’ajuster, le faire progresser en discutant avec les galeries pour les inciter à exposer des projets d’artistes plus jeunes, par exemple, mais pas le transformer radicalement.
Et le public, comment analysez-vous son évolution ?
Lui aussi a beaucoup changé. De plus en plus de personnes visitent Art Unlimited sans passer par la foire principale. Le format, le fait de présenter des œuvres choisies lui donnent ce côté spectaculaire, moins élitiste et donc plus accessible, qui plaît à un public non professionnel.
Vous venez du milieu institutionnel et vous rejoignez l’une des plus importantes foires du marché de l’art. Avez-vous l’impression de passer de l’autre côté du miroir ?
Je ne vois pas les choses comme ça. Art Unlimited est bien sûr un élément d’une foire d’art commerciale dont je suis le commissaire. Pour autant, je ne m’occupe pas de sa partie transactionnelle. Lorsque vous dirigez un centre d’art, vous êtes de toute façon confronté à la réalité du marché. Vous travaillez avec des artistes qui sont représentés par des galeries. Certaines œuvres que vous produisez seront peut-être ensuite vendues. Le milieu institutionnel ne vit pas dans une bulle coupée de l’économie de l’art.
Vous continuerez d’ailleurs à diriger la Kunsthalle de Saint-Gall. N’est-ce pas un peu incompatible ?
Nous avons bien entendu discuté de cette situation au sein du conseil du musée, pour que tout soit clair et transparent. Prendre la tête d’Art Unlimited est une très belle opportunité pour moi. Mais elle l’est aussi pour cette petite Kunsthalle, qui pourra ainsi profiter de ma nomination pour renforcer son réseau.