L’art contemporain peut-il changer la perception d’une ville, à la fois pour ses propres habitants, mais aussi pour de potentiels touristes ? C’est le pari qu’a engagé la municipalité de Poitiers en accueillant la première édition de « Traversées » (jusqu'au 19 janvier 2020). Le projet a pris sa source dans le monument insigne de la cité, qui se dresse en son point le plus élevé : le Palais des ducs d’Aquitaine, noble construction médiévale, qui renferme en son sein l’extraordinaire Grande Salle élevée par Aliénor d’Aquitaine entre 1192 et 1204, à l’époque l’une des plus vastes d’Europe. Le lieu était occupé depuis 239 ans par les services de la Justice. À la faveur du déménagement de ces derniers, la Ville a acquis le monument pour le rendre aux Poitevins. Il s’agissait alors « d’envisager, dans le même temps qu’une réflexion sur les futurs usages du Palais, une recomposition plus globale du parcours dans la ville, notamment en son cœur historique et patrimonial », selon Henri Loyrette, ancien président-directeur du musée du Louvre. L’idée a été de repenser un parcours urbain jusqu’au Clain, la rivière qui traverse la ville, et de l’articuler autour d’une série d’œuvres d’art présentées à la fois dans des lieux patrimoniaux mais aussi dans les grandes institutions culturelles de la cité, le musée Sainte-Croix et le Confort Moderne, centre d’art contemporain. Pour concevoir « Traversées », la mairie a convié deux commissaires d’exposition chevronnées et déjà complices, Emma Lavigne [nommée entre-temps à la présidence du Palais de Tokyo] et Emmanuelle de Montgazon, elle-même originaire de Poitiers. Toutes deux ont invité une autre femme, Kimsooja, artiste à la sensibilité rare qui déploie au gré des sites un ensemble d’œuvres sur le thème du déplacement, personnel, culturel… « Il s’agit peut-être de mon projet le plus inspirant, complexe et ambitieux, car il se concentre sur la spécificité de ce site », a déclaré l’artiste, qui a proposé à d’autres de l’accompagner, tels Sammy Baloji, Thomas Ferrand, Subodh Gupta, Tadashi Kawamata ou Rirkrit Tiravanija. L’ensemble forme un riche dialogue entre monuments historiques méconnus et œuvres d’art contemporain abordant les grandes questions du monde d’aujourd’hui. Et offre une nouvelle image de la secrète Poitiers insufflée toute en délicatesse par Kimsooja.
Le palais, la ville et l'artiste
L'édito de la semaine du lundi 2 décembre 2019.
1 décembre 2019