À Venise, l’exposition des Giardini se déroule dans un contexte de pavillons nationaux. La question de la nationalité résonne particulièrement fort en ce moment. Comment l’avez-vous abordée ?
Lorsque j’ai été choisie par Pro Helvetia pour organiser l’exposition du Pavillon suisse, j’ai tout de suite souhaité réfléchir à la dimension politique que revêtent les pavillons nationaux dans le cadre de la Biennale. J’ai toujours vu ces pavillons comme des sortes de tribunes à partir desquelles on peut exposer un état du monde et de l’art. Dans un contexte de repli sur soi et d’antagonismes exacerbés, il m’a semblé importent d’aborder la question de l’identité. Qu’elle soit sexuelle, sociale ou ethnique, elle est omniprésente dans les discours et révèle des enjeux de pouvoir dans une société en pleine mutation. D’où mon envie de travailler avec des artistes qui développent un propos pertinent par rapport à ces questionnements.
Pourquoi avoir choisi le duo formé par Pauline Boudry et Renate Lorenz ?
J’avais déjà exposé leur travail au CAPC [musée d’Art contemporain] de Bordeaux lorsque j’en étais la directrice et je les avais invitées en 2017 à participer à la Nuit Blanche, à Paris. Nourris des théories queer, leurs travaux parlent de cette construction identitaire et de la façon dont le contexte et le contact avec les autres nourrissent ce que nous sommes. Pour dire à quel point la question de l’identité obsède les gens, certaines personnes du monde de l’art ont trouvé que mon choix de ce duo d’artistes pour le Pavillon n’était pas assez helvétique (puisque l’une des deux est allemande). Pour moi qui vis à Genève, une ville composée à 45% d’étrangers, qui a toujours eu le regard tourné vers le monde plutôt que vers la Suisse et qui s’est donné comme mission singulière de trouver des modalités pour que les gens de toutes origines discutent ensemble, ce choix reflète aussi les termes de cette Suisse-là.
À quoi le Pavillon suisse ressemblera-t-il ?
Son architecture sera totalement transformée. Les visiteurs entreront dans un décor de club LGBT que Pauline et Renate considèrent comme l’un des rares espaces où chacun peut décider ce qu’il veut être. L’idée était aussi de créer un environnement dans lequel les spectateurs pourront faire une expérience. Les installations filmiques des deux artistes ont un statut particulier dans le sens où elles ne sont pas qu’un simple défilé d’images. Le visiteur y est pris à partie et s’y sent investi d’un rôle. Leur film Moving Backwards montre des séries de mouvements mais exécutés à l’envers par plusieurs performeurs. Une manière métaphorique d’interpeller notre civilisation occidentale qui considère le retour en arrière comme une régression au progrès permanent. Par conséquent, Pauline Boudry et Renate Lorenz s’interrogent. Et si revenir en arrière pouvait participer d’une stratégie de résistance? En temps de guerre, une armée peut faire semblant de se retirer pour trouver un autre angle d’attaque. Dans le hip-hop, le scratch et certaines figures de danse inversées revendiquent une forme de dissidence face à un ordre établi par une classe dominante. Prendre les choses à rebours pour avancer différemment.