Sommes-nous face à une crise de l’expertise sur le marché de l’art ? Je crains que oui. Arriver à un consensus vis-à-vis d’artistes importants, comme Amedeo Modigliani, semble relever de l’impossible. Les maisons de vente aux enchères se débarrassent des spécialistes à un rythme alarmant. Les fondations artistiques principales (Warhol, Pollock et Lichtenstein) ne se procurent plus de service d’authentification. Mais l’affaire va bien plus loin que ça. Nous témoignons actuellement d’une érosion graduelle de l’expertise et de sa fonction dans le monde de l’art. Dans une telle atmosphère, il n’est pas surprenant que les étudiants en Grande-Bretagne ne puissent bientôt plus étudier l’histoire de l’art au lycée.
Les experts n’osent plus se manifester, car ils craignent les possibles représailles légales que peuvent provoquer leurs opinions impartiales. Une telle menace représente une claire embuche pour toute évaluation objective des œuvres d’art historiques. Ces problèmes ont été reconnus dès la moitié des années 1960. Dès lors, de nombreuses tentatives ont été mises en place aux États-Unis pour protéger les experts des litiges incessants. La loi n’est cependant pas passée et toutes les tentatives récentes de reprendre une législation semblable ont échoué.
Pourquoi, peut-on se demander, protéger les experts d’art ? La raison est simple. Les opinions des experts sur les questions d’attribution et d’authenticité sont fondamentales à l’histoire de l’art et au fonctionnement sain du marché de l’art. Sans un travail de ce type, il n’y aurait ni catalogues raisonnés, ni recherches sur les méthodes de travail des artistes, ni nouvelles découvertes possibles grâce aux développements techniques et scientifiques en matière d’analyse d’œuvres.
À moins que les experts d’art soient davantage consultés et encouragés à partager leurs opinions sincères dans un environnement ouvert, le marché de l’art risque de souffrir. Il y aura une dépendance accrue à l’égard d’un nombre réduit d’artistes, comités et fondations puissants possédant les moyens de combattre des litiges, ce qui les consolidera davantage.
Le marché des grands maîtres, où la question de l’attribution détient un rôle crucial et qui est déjà embourbé dans des récentes accusations de falsification, deviendra encore plus démodé. Finalement, il y aura une contraction générale du marché de l’art. Seules les œuvres qui ont déjà été acquises seront vendues. Il n’y aura plus de place pour la découverte.
Nous tournons notre dos à l’expertise à nos propres risques et périls.
Ce commentaire est un résumé des points principaux du discours de Tim Hunter lors de la conférence sur la gestion de risques dans le marché de l’art, organisée par Art Market Minds et K&L Gates et qui s’est déroulée à Londres le 10 novembre 2016.