Lors de ses pérégrinations parisiennes, le flâneur ne peut manquer de croiser Georges Pompidou, Valéry Giscard dʼEstaing ou François Mitterrand au travers des musées, bibliothèques ou opéras quʼils ont essaimé au cœur de la capitale. Symbolisant un rapport particulier de la politique française à la culture, la réalisation de tels « grands chantiers » présidentiels ne semble cependant plus à lʼordre du jour. Depuis lʼinauguration, en 2006, du musée du quai Branly Jacques Chirac, aucun projet de la sorte nʼa, en effet, vu concrètement le jour. Les priorités de la politique culturelle française ont-elles changé ?
Selon lʼhistorien et professeur Laurent Martin, la dénomination « grands chantiers présidentiels » comprend tout projet architectural décidé et « souvent directement piloté par les présidents successifs de la Ve République ». Le musée national dʼArt moderne-Centre Pompidou est considéré comme étant le tout premier du genre. Inauguré en 1977, l’établissement est né de la volonté du deuxième président de la Ve République Georges Pompidou qui considérait « scandaleux » que les Français aient des goûts si conservateurs en matière dʼart. Il souhaitait leur offrir un lieu où découvrir et comprendre lʼart moderne et contemporain. Son successeur Valéry Giscard dʼEstaing a, quant à lui, lancé la construction de trois chantiers (ceux du musée dʼOrsay, de lʼInstitut du monde arabe et de la Cité des sciences de la Villette) sans cependant en voir lʼachèvement avant la fin de son mandat. Le « président-bâtisseur » le plus prolifique reste cependant François Mitterrand. En plus dʼavoir mené à bien les chantiers de son prédécesseur, la paternité du Grand Louvre, de la Bibliothèque nationale de France, de lʼOpéra Bastille et de la Grande Arche de La Défense lui revient. Son acharnement à vouloir bâtir des lieux de la culture lui a même valu les surnoms de « Tontonkhamon » et « Mitteramsès ». Si ces projets ont bien évidemment pour objectif de laisser une trace visible du passage de ces différents présidents à la tête du pays, ils ont également d’autres fonctions sʼéchelonnant dans des temporalités variées. Selon Laurent Martin, les grands chantiers présidentiels doivent en effet « montrer l’engagement de l’Etat en faveur de la culture, démontrer l’excellence du savoir-faire français, soutenir le secteur du bâtiment, créer les conditions de retombées touristiques favorables et, enfin, maintenir le rang de Paris parmi les capitales mondiales de la culture ». Pendant près de quarante ans, gouverner rimait donc avec bâtir. Comment comprendre l’échec de Nicolas Sarkozy à mener à bien sont projet (très) controversé de « musée de lʼHistoire de France » ? Pourquoi François Hollande ne sʼest-il même pas penché sur la question ?
« Trop coûteux », « trop centralisés à Paris » sont les deux principaux reproches qui ont été faits à lʼencontre de ces « grands projets ». Ils témoignent également dʼune forte concentration des pouvoirs entre les mains du président de la République, dʼune manière de gouverner quasi monarchique permise par la Constitution de 1958. La réduction, en 2002, de la durée dʼun mandat présidentiel de sept à cinq ans ne facilite pas non plus la réalisation de tels chantiers. Ce nʼest que parce quʼil fut réélu que Jacques Chirac a pu inaugurer le musée du quai Branly. Le changement de paradigme de la politique culturelle est cependant la raison principale à lʼempêchement du « lancement dʼun nouveau projet ». Elle se concentre désormais davantage sur la démocratisation et décentralisation de lʼoffre culturelle ainsi que sur le soutien à la création. « Lʼheure est aux petites structures, aux collectivités territoriales, aux industries culturelles » conclut Laurent Martin.