Heidi Bucher : La Rose de Paris
En 1978, Heidi Bucher (1926-1993) invente un processus de travail pour prendre l’empreinte d’intérieurs ou de façades d’architectures. Enduisant sols ou murs, portes ou portes-fenêtres d’une couche de gaze et d’une autre de latex liquide, elle détache ensuite les panneaux de latex séché pour produire tableaux, environnements ou sculptures. L’acte fondateur de cette démarche a lieu dans la chambre de maître de la maison de son enfance. Il s’est agi littéralement de faire la peau de cette chambre, au sens de la créer et de l’arracher comme trophée. Après l’appropriation de cette structure familiale et sa mise hors d’elle-même par une esthétique libératrice certainement marquée par l’exemple d’Eva Hesse, elle s’est attaquée à l’institution psychiatrique fondée par Ludwig Binswanger. La métamorphose de ce bâtiment en des structures souples unissait en un même geste antiarchitecture et antipsychiatrie. Même sans une connaissance préalable des conditions de réalisation, la dimension critique de ces œuvres se laisse appréhender dans le fléchissement de ces peaux architecturales et le vieillissement du latex qui dessine des zones sombres et accentue le relief des traits de brosse. C’est à la fois sensuel, pictural et empreint de gravité.
Les œuvres exposées retracent une partie de la biographie artistique depuis une empreinte de barreaux d’escaliers de la maison familiale jusqu’aux portes heureuses de la maison-atelier de Lanzarote, en passant par les portes ou fenêtres de la maison de Winterthour ou de la clinique Bellevue. Dans la cage d’escalier est suspendue une Bodenhaut (peau de sol) longue de plus de huit mètres qui témoigne de la capacité qu’a l’œuvre d’Heidi Bucher à révéler des potentialités et à ouvrir des perspectives nouvelles au fil de ses présentations.
Du 28 novembre 2024 au 25 janvier 2025, Mendes Wood DM, 25, place des Vosges,75004 Paris
Mari Katayama : This is how we stand our ground
Photographe, plasticienne, performeuse, Mari Katayama est principalement connue pour ses autoportraits photographiques. Les deux séries Red Shoes et Caryatids sont construites autour d’une paire de souliers rouges pour la première et, pour la seconde, d’une couverture très particulière, quasiment une sculpture. Née avec une maladie rare, Mari Katayama a dû subir à l’âge de 9 ans l’amputation partielle de ses jambes. Les souliers rouges sont des modèles à talon haut qu’elle a élaboré avec un chausseur et qui peuvent être portés avec des prothèses. C’est un projet qu’elle porte depuis de nombreuses années au nom du droit pour toutes et tous à se tenir sur des talons. Au-delà de cette revendication, l’accessoire lui sert à réinventer la photo glamour. Dans son studio, juchée derrière une toile qui porte un faisceau de jambes peintes ou en tissus (pour certaines chaussées), à la fois artiste et modèle, elle nous rend témoin de ses recréations d’elle-même. Pour Caryatids, le vêtement qu’elle a créé est fait d’une multitude de bras et de jambes en tissus qui évoquent la pieuvre. Mari Katayama multiplie les postures, se cache dans les plis, en un exercice de fascination et de capture du spectateur. L’accrochage dense et serré participe à cet effet, de même que de longues guirlandes faites de gaze et de cheveux suspendues un peu partout dans la galerie. Au terme du parcours, on découvre une installation qui réunit des photos plus anciennes, dont une vue d’atelier et un portrait allégorique en peinture. Sur un des murs est suspendu un rideau fait de sachets Haribo vides. Cette friandise lui rappelle une personne et un moment clé de son engagement artistique.
Du 2 novembre au 21 décembre 2024, Suzanne Tarasieve, 7, rue Pastourelle, 75003 Paris
Glenn Brown : In the Altogether
Pour « In the Altogether » (mise à nu), Glenn Brown a réuni des anges et des colosses inspirés de maîtres anciens dans des couleurs d’une formidable outrance. Aux taches et coups de brosse qui font l’image du travail du peintre, il a depuis longtemps substitué des milliers de traits et boucles pour peindre la chair comme on peindrait chevelures et poils. Il a inventé des corps et des faces picturaux à la fois grouillant et lissés qui lui permettent de réinterpréter à peu près tous les styles qu’il admire à des degrés divers, du sublime au kitsch. Parallèlement à cette virtuosité qui se contemple et vise à conduire le spectateur au vertige, Glenn Brown élabore de subtils jeux de nature conceptuelle. Partant de deux dessins de Dürer représentant l’un, un visage de christ imberbe, et l’autre, celui d’un ange, il a peint deux tableaux qu’il met en regard chacun sur son mur. La tête du Christ est peinte en noir et blanc avec en bas un cartel gris où aurait pu figurer le titre. Le tableau est la traduction en peinture du dessin, les traits circulaires et rehauts du maître ancien inspirant des boucles blanches libres et autonomes. Le visage de l’ange a, lui, fait l’objet d’une sorte de coloriage, sa peau teinte en bleu et sa bouche en rouge vif. Le genre de l’ange ou du Christ, la probité du dessin et le mensonge de la couleur sont deux questions parmi d’autres qui peuvent nous traverser l’esprit. À côté des grandes compositions, Glenn Brown a glissé deux petits tableaux particulièrement bizarres et grinçants. L’un est une tête de putto à demi énuclée en chute libre, l’autre une main tendue faite d’une multitude de fins traits blancs et qui porte en son centre un trou noir, comme un stigmate.
Du 14 octobre au 18 décembre 2024, Galerie Max Hetzler, 46 & 57 rue du Temple, 75004 Paris
Geert Goiris : Writing to myself
Plongeant dans ses archives, Geert Goiris a conçu un accrochage d’images qu’il qualifie d’« autobiographie visuelle » ou d’« autofiction ». C’est bien le sentiment qui se dégage à la vue de ces images de genres divers, essentiellement des paysages et des architectures en noir et blanc. Les titres sont allusifs, voire poétiques, mais un nom de ville nous est parfois donné comme indice. On se balade de paysage en chambre d’hôtel ou façade d’immeuble, de savane en salle de réunion déserte. Les cadrages peuvent aussi bien accrocher un détail ou nous révéler une analogie poétique, que refléter l’expérience du voyageur ou du visiteur, son saisissement au seuil d’une forêt ou d’un bâtiment. Un unique œil nous regarde, celui d’un éléphant, cadré de très près, très contrasté, et qui semble fait de terre. Quelques photos, les quelques rares en couleur tout particulièrement, agissent comme des points de fixation et des embrayeurs de fiction. Deux sont de nature quasi abstraite : un détail de flaque brune sur un sol de terre et cailloux d’un noir profond, quatre blocs minéraux dont deux rougeoyants sur une terre tout aussi noire, et deux sont des portraits d’endormis ou qui en ont l’apparence : une jeune femme dans un lit, un jeune homme dans une nature humide. Deux images nous semblent tendre une clé à l’interprète : un « Hell » planté dans une colline de pins en bordure d’un pont autoroutier désolé, un « Eden » sur la façade d’un immeuble de verre à l’abandon. Un long intervalle de quatorze années sépare les deux images qui se rencontrent ici. Un film montré dans la dernière salle, une succession de plans sans lien narratif, fait entendre à plusieurs reprises ces mots qui peuvent servir à l’exposition : « All the scripts are here, all the paths you could have taken ».
Du 7 novembre 2024 au 18 janvier 2025, Art : Concept, 4, passage Sainte-Avoye, 75003 Paris