Qu’est-il arrivé à la sculpture-fontaine qui trônait dans la vaste cour-jardin, dite « Jardin carré », de l’ancien siège de Polytechnique, rue Descartes, dans le 5e arrondissement de Paris ? Comme nous avons pu le constater à travers les grilles, l’ancien jardin (moderne) à la Française ressemble à un no man’s land de terre, sans la moindre sculpture. Le bassin dans lequel elle était installée a lui aussi disparu.
Pourtant, c’est bien là que se dressait La Spirale, commande publique passée alors que Jack Lang était ministre de la Culture à une artiste majeure, la Suissesse Meret Oppenheim. Cette muse de Man Ray fut une grande figure du surréalisme, son travail étant actuellement à l’honneur dans l’exposition sur ce mouvement au Centre Pompidou. L’œuvre est inaugurée en 1986, quelques mois après sa disparition. Elle est même la seule pièce de cette artiste dans l’espace public en France…
Farideh Cadot, dont la galerie parisienne était à l’époque maîtresse d’ouvrage de l’œuvre, s’inquiète aujourd’hui du sort de cette sculpture en bronze de 4 mètres de haut. Celle-ci ne serait-elle devenue qu’un menu détail au sein du vaste chantier de rénovation du lieu, qui abrite le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR) depuis le déménagement de Polytechnique sur le plateau de Saclay, à Palaiseau, en banlieue parisienne sud ? Ces travaux suscitent depuis longtemps la polémique par leur ampleur et l’implication de LVMH. Parmi les nombreux détracteurs du projet figure l’ingénieur des Mines et polytechnicien Alexandre Moatti, auteur du livre Polytechnique, le dessous Descartes. Il critique « un projet de rénovation de 1,5 million d’euros devenu un chantier pharaonique à plus de 30 millions d’euros depuis que LVMH a pris les rênes de la maîtrise d’ouvrage ». Certains se sont interrogés sur la pertinence de creuser un auditorium dernier cri de 500 places destiné en particulier à accueillir les colloques et les conférences de l’école Polytechnique alors que d’autres structures déjà existantes auraient pu être utilisées dans ce même quartier latin qui incarne l’excellence de l’enseignement supérieur et les grandes écoles à la Française… Toujours est-il que cet ambitieux projet semble tenir symboliquement à cœur du patron de LVMH, Bernard Arnault, ancien élève de l’X…
C’est pour laisser place à ce grand chantier que La Spirale, déposée auprès du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, a été démontée dans la plus grande discrétion. « L’opération s’est-t-elle faite avec l’aval du Cnap, ou en catimini ? », s’interroge Farideh Cadot, le Centre national des arts plastiques (Cnap) étant de facto le propriétaire de l’œuvre. Quid aussi des ayant droit ? Et de rappeler : « La sculpture appartient à l’Etat, elle ne peut en principe être retirée que si elle est abimée ou cassée. ». Difficile de savoir si, par mégarde, des ouvriers trop zélés ont endommagé l’œuvre, ou si cette dernière a été enlevée par mesure de précaution.
« Le déplacement de l’œuvre a lieu dans le contexte de réalisation de l’auditorium pris en charge par LVMH. Il n’était pas prévu au départ que ce soit LVMH qui s’occupe de cette œuvre d’art. Il a fallu trouver de l’espace pour installer la base chantier des travaux », nous précise Béatrice Salmon, directrice du Cnap. Et d’assurer « savoir où se trouve maintenant la sculpture, chez un restaurateur connu du Cnap. Elle n’a jamais très bien fonctionné en tant que fontaine, un point qui pouvait être amélioré avec la reconstruction du bassin. Un restaurateur a fait une étude sur la dépose de l’œuvre et réfléchi à la fontainerie. Par ailleurs, nous n’aurions pas accepté que cela reste sur place avec les risques du chantier ».
Interrogés par The Art Newspaper, Polytechnique et LVMH nous ont répondu conjointement que « cette sculpture a été retirée du bassin par une société spécialisée mandatée par la direction culturelle du MESRI sous la direction d’Antoine Amarger, le restaurateur de l’œuvre. Toutes ces opérations et la restauration de l’œuvre sont payées par LVMH ». Toujours selon eux, la sculpture de Meret Oppenheim se trouve actuellement « dans l’atelier de ce restaurateur, à Saint-Epain en Indre et Loire ».
L’école Polytechnique et LVMH nous ont déclaré que l’œuvre sera remise en place à l’issue des travaux, stoppés depuis près de deux ans, après des manifestations d’opposants. Selon un plan d’architecte visible en ligne sur le site Internet de Polytechnique, l’auditorium prendra place sous le bâtiment principal, mais une partie annexe semble déborder sous la grande cour dans laquelle se trouvaient le bassin et la sculpture-fontaine. Toujours selon ces mêmes documents, la sculpture devrait être réinstallée dans un bassin agrandi.
Le calme règne à deux pas de là, dans le petit jardin situé à droite dans la cour d’honneur du MESRI, devant le corps du bâtiment voisin. Ici, nul chantier en vue. Comme nous l’ont confirmé plusieurs sources, l’œuvre de Giuseppe Penone baptisée Tre Paesaggi, composée de trois personnages au corps imitant les branches d’arbre, s’y trouve toujours, et n’est pas concernée par les soucis advenus à l’œuvre voisine de Meret Oppenheim. « Aujourd’hui, je n’ai aucune idée de quand ces travaux seront faits, mais ce chantier ne dépend pas du Cnap. Nous sommes dans une situation d’attente, sans réelle visibilité », nous a confié Béatrice Salmon. De leur côté, Polytechnique et LVMH nous indiquent que le chantier reprend « dès à présent pour le complément des fouilles archéologiques, et à l’été 2025 pour les travaux proprement dits ».