Donald Trump a été élu pour la deuxième fois à la présidence américaine le 5 novembre 2024 et a recueilli une nette majorité des voix des grands électeurs et du vote populaire. Il deviendra le premier condamné à occuper ce poste, la personne la plus âgée à être élue président et le deuxième à exercer des mandats non consécutifs. Il retrouvera ses fonctions en janvier 2025 – quatre ans après avoir contesté l’élection qui l’a écarté de la présidence et déclenché une insurrection armée au Capitole. Dans un discours de victoire prononcé devant ses partisans depuis son quartier général de campagne à West Palm Beach, en Floride, il a déclaré vouloir gouverner selon une devise simple : « Promesses faites, promesses tenues ».
Parmi les promesses qu’il a faites lors de sa campagne, citons l’expulsion massive des immigrés sans papiers, la suppression des écoles qui enseignent la théorie critique de la race et les droits des transgenres, la suppression des mesures d’incitation en faveur des véhicules électriques et le renforcement de l’exploration des combustibles fossiles, l’imposition de droits de douane de 60 % sur les biens et matériaux importés de Chine et la volonté de se venger de ses ennemis. Le Parti républicain étant sur le point de prendre le contrôle du Sénat et Donald Trump s’étant entouré de conseillers qui ne font pas grand-chose pour freiner ses impulsions autoritaires, il est fort possible que les perspectives sociales, judiciaires et législatives du pays penchent du côté de la droite dure dans les années à venir.
Le monde de l’art, qui a largement soutenu la candidate démocrate Kamala Harris lors des élections pour son engagement en faveur des valeurs progressistes, y compris les droits à l’avortement, a réagi de façon sombre, avec colère et inquiétude quant à l’avenir de la culture américaine. L’atmosphère contrastait fortement avec l’espoir qui régnait au début de la soirée électorale à la Galerie Gladstone de Chelsea [à New York], où des foules de partisans de Kamala Harris se sont rassemblées lors d’une soirée marathon de lectures organisées dans l’installation The Shape of Things (La forme des choses) de Carrie Mae Weems. De nombreuses personnalités du monde de l’art contactées par The Art Newspapermercredi matin n’ont pas répondu immédiatement ou sont restées sans voix face aux résultats, comme l’artiste Deborah Kass, qui a déclaré : « Il n’y a pas de mots. C’est ma réponse ».
L’artiste et animateur californien Lyndon Barrois, qui a soutenu Kamala Harris avec sa femme Janine Sherman Barrois, scénariste et productrice de télévision, s’est dit « abasourdi » par les résultats. « Je ne sais pas quoi dire de cohérent », a-t-il déclaré, avant d’ajouter qu’il espérait que « le monde des arts et de la culture puisse continuer à diffuser des récits de pure vérité sans censure, ou des vérités et des cultures alternatives. Il y a tellement de choses qui dépassent le monde de l’art, mais c’est quand même la façon la plus efficace de continuer à raconter cette histoire ».
L’écrivaine, artiste et réalisatrice Tanya Selvaratnam, qui a travaillé avec des artistes pour soutenir la campagne de Kamala Harris, affirme qu’elle n’a pas été surprise par les résultats, mais qu’elle est profondément désemparée. « Pour moi, le principal enseignement est que la majorité des Américains qui ont voté n’étaient pas prêts à voter pour une femme noire », dit-elle. Face à la rhétorique raciste et misogyne de Trump et de ses alliés lors de la campagne, elle encourage ceux qui peuvent obtenir la double nationalité à le faire. « Je sortirais de l’esquive, dit-elle. Nous avons vu au cours des quatre premières années de Donald Trump [à la Maison Blanche] à quel point les choses pouvaient mal tourner, à commencer par les interdictions de voyager et la destruction complète de la Cour suprême en tant qu’entité légitime. Et nous devrions prêter une attention particulière au Guide du Projet 2025 et nous préparer à ce que le pire se produise au cours des quatre prochaines années. Les dégâts peuvent être considérables ».
Alors que les messages de sympathie affluent après l’élection, Tanya Selvaratnam exhorte également ceux qui s’inquiètent de ce qui les attend à prendre un moment pour « réfléchir à la manière dont ils peuvent intervenir pour défendre ceux qui vont se sentir plus vulnérables et marginalisés, parce que beaucoup de gens vont souffrir encore plus qu’avant ». Elle pense qu’avec son retour au pouvoir, Donald Trump « mettra à exécution ses menaces sur les immigrés, les Portoricains, les personnes trans et toutes les femmes ».
L’artiste Alexis Rockman, qui depuis des décennies concentre son travail sur l’impact de l’industrie humaine sur l’environnement, estime qu’il est impossible de savoir comment les choses vont se dérouler, surtout si l’on considère à quel point Donald Trump peut être imprévisible et la vraie nature de son énigmatique nouveau vice-président, J.D. Vance. « Si vous êtes immigré, vous êtes vraiment dans la merde », dit-il.
Alexis Rockman établit un parallèle entre cette élection et le début de sa carrière dans les années 1980, lorsqu’il semblait évident que le changement climatique était une menace imminente et qu’il était dans l’intérêt de l’humanité de prendre des mesures pour enrayer ce phénomène. « Je n’avais pas conscience que les impulsions politiques et le tribalisme allaient faire dérailler cet [effort] et rendre impossible tout retour en arrière », déclare-t-il. Il voit le même scénario se répéter aujourd’hui, alors que « les humains, en dépit de leurs propres intérêts, en dépit de l’information, se suicideront littéralement pour faire partie d’un club qu’ils estiment vouloir fréquenter ».
L’artiste Lita Albuquerque, qui a créé une affiche électorale pour Kamala Harris, a exprimé ses préoccupations quant à ce que sera la communauté créative sous une autre présidence Trump. « La liberté d’explorer, de porter un regard critique sur le monde, la liberté de dissidence sont les valeurs que l’art doit posséder pour évoluer, dit-elle. Je m’inquiète pour notre liberté d’expression ».
Dans de nombreux États, les électeurs étaient également appelés à voter pour des propositions visant à garantir les libertés en matière d’avortement et d’autonomie corporelle dans le cadre d’amendements constitutionnels, et la plupart d’entre elles ont été approuvées par les électeurs. Mais en Floride, la mesure n’a pas obtenu les 60 % de voix nécessaires à son adoption, ce qui a permis à une loi signée en 2023 par le gouverneur Ron DeSantis, qui interdit les avortements après six semaines de grossesse, de rester en vigueur. L’artiste Antonia Wright, dont l’œuvre State of Labor actuellement exposée au Pérez Art Museum Miami est une réponse directe à l’annulation par la Cour suprême de l’arrêt historique Roe v. Wade, déclare que l’échec de ce scrutin « est une perte significative pour les droits à l’avortement. Avant notre cruelle et dangereuse interdiction de l’avortement après six semaines, la Floride servait de refuge pour l’accès à l’avortement à toutes les personnes du Sud ».
Antonia Wright ajoute que l’obligation d’obtenir près des deux tiers des voix n’était pas le cas dans la plupart des États. « Malgré cela, nous avons obtenu 57 % des voix, ce qui montre que la plupart des citoyens de Floride veulent avoir accès aux soins en matière d’avortement », dit-elle. Elle espère que les électeurs se souviendront que Ron DeSantis a activement fait campagne contre l’amendement et a utilisé les fonds de l’État pour attaquer l’initiative, en particulier « lorsque les politiciens républicains seront en lice pour les élections de 2026. En attendant, nous devons faire des dons aux fonds pour l’avortement et faire connaître le Plan C », ou mifépristone, une pilule abortive approuvée par la Food and Drug Administration, qui peut être prescrite et reçue par courrier.
Antonia Wright s’inquiète également des efforts répétés de Donald Trump contre le National Endowment of the Arts (NEA). « L’art est toujours une cible facile lors des coupes budgétaires, comme nous l’avons vu lorsque DeSantis a réduit de 32 millions de dollars le financement de l’art dans le budget 2025 de la Floride », dit-elle, soulignant les initiatives conservatrices visant à étouffer l’éducation et la pensée créative. « Pourquoi interdisent-ils nos livres s’ils prétendent que l’art n’a pas d’importance ? », ajoute-t-elle.
Barbara Prey, une artiste qui a été membre du National Council on the Arts, le conseil consultatif du NEA, pendant 14 ans, sous quatre administrations différentes, affirme que « le NEA dispose d’une solide équipe de fonctionnaires qui dirige l’institution » et que si un nouveau directeur peut être nommé par l’administration entrante, cela prendra du temps, car il devra être approuvé par le Sénat.
De même, tout effort visant à supprimer le NEA, le National Endowment for the Humanities, l’Institute of Museum and Library Services et la télévision publique doit être approuvé par le Congrès, qui a jusqu’à présent fait preuve d’une résistance bipartisane.
Barbara Prey, qui se trouve actuellement à Cortone, en Italie, explique qu’elle « [s’est] réveillée ce matin et [a peint] la vue sur la vallée et les collines, car la peinture est [sa] façon de donner un sens au monde ». Il reste à voir à quoi ressemblera l’image de la culture américaine au cours des quatre prochaines années.