Qu’on l’ait découvert en lisant l’un de ses ouvrages (L’Impressionnisme [1971], par exemple), un article (« La peinture en charpie » [1978], consacré en à l’œuvre de Robert Ryman) ou encore l’un des titres au catalogue des Éditions Macula qu’il a fondées et dirigées jusqu’en 2010 (les traductions en français des textes de Clement Greenberg, Meyer Schapiro et Rosalind Krauss notamment), on a beaucoup plus de chances d’être ramené à Jean Clay que d’oublier son existence. Et pourtant, il n’a jamais cherché à se mettre en avant, faisant de l’anonymat un « combat », pour reprendre l’expression de Thierry Davila. Il signait volontiers ses articles de ses initiales, plus discrètes, et se consacra après 1980 à un travail d’édition conçu comme un véritable échange intellectuel, une somme d’annotations et de commentaires.
UN FORMALISME OUVERT
Sont réunis dans ce volume vingt-cinq de ses textes parus entre 1966 (une étude consacrée à l’artiste grec Takis) et 1983 (« Onguents, fards, pollens », un essai rédigé pour le catalogue de l’exposition « Bonjour Monsieur Manet » au Centre Georges-Pompidou, à Paris) – soit l’époque où il a successivement animé les revues Robho (1967-1971, avec le poète Julien Blaine) et Macula (1976-1979, avec Yve-Alain Bois, son camarade auCentre de formation des journalistes). Ils font entendre autant sa voix que les résonances qu’elle a trouvées dans la pensée de son temps.
S’y déploie, par la pratique, une méthode, aiguisée depuis la fréquentation de l’entourage du galeriste René Drouin, dont il connaissait le fils depuis l’enfance, jusqu’au séminaire d’Hubert Damisch à l’École des hautes études en sciences sociales. Une méthode croisant l’histoire et l’esthétique – ainsi se voulait située la revue Macula –, usant de la description comme outil interprétatif et du langage avec une précision égale à la mise au travail des mots, aiguillonnée par la philosophie, la linguistique ou la psychanalyse. Soit, comme il l’écrit à propos de Robert Ryman, un « [usage] des propriétés d’un savoir à en viser un autre sans prétendre à rien qu’à des coïncidences fragmentaires, glissements de champs, mouvements (d’histoire), rivetages où filtre un jour ».
On doit non seulement à Jean Clay parmi les premières études en français sur des artistes aussi importants que Robert Ryman et Lygia Clark, mais aussi l’exploration, à partir des historiens d’art anglo-saxons, d’un « formalisme déterritorialisé, très ouvert à l’anthropologie » – atopique, donc – « qui commence par suspecter l’étanchéité des genres et qui nie qu’il y ait quelque part dans sa pureté introuvable quelque chose comme LA peinture ». Et qui, pour cette raison même, ne cesse de l’interroger. « D’où considérer une peinture qui tout ensemble a lieu et se dérobe, qui ne se donne à voir qu’absente à elle-même, qui ne se qualifie que de sa dispersion, qui ne se saisit que comme insaisissable ? »
-
Jean Clay, Atopiques. De Manet à Ryman, Strasbourg, L’Atelier contemporain, 2024, 480 pages, 25 euros.