C’est dans un Grand Palais presque tout neuf après un important lifting et sous un soleil éclatant que la 3e édition d’Art Basel Paris (ex. Paris +) s’est ouverte hier. Enthousiastes, tous les visiteurs, presque trop nombreux le matin, louaient l’agrément de la lumière naturelle dans la nef, les nouvelles surfaces gagnées en mezzanine, l’impression générale d’espace, mais aussi la qualité des œuvres présentées.
L’époque n’est pourtant pas à l’euphorie. Ces dernières semaines, les galeries parisiennes confiaient leur inquiétude après des mois de vaches maigres, et leurs espoirs placés dans cette « Paris Week ». Les collectionneurs allaient-ils être au rendez-vous et, surtout, d’humeur acheteuse malgré les soubresauts de l’économie et le contexte géopolitique mondial guère favorable ? Encouragés par la programmation de haute tenue des institutions publiques et privées et les nombreux vernissages organisés cette semaine, les collectionneurs et grands conseillers du marché international sont venus en nombre arpenter la foire, tels Maja Hoffmann, Jose Mugrabi, l’advisor américaine Sandy Heller, Delphine Arnault et d’autres membres de sa famille, Martin Margulies qui possède à Miami une collection avec les plus grands noms de Rothko à Kiefer… La tenue d’expositions d’envergure notamment à la Fondation Louis-Vuitton ou à la Bourse de Commerce-Pinault Collection incite aussi certains très gros prêteurs, en particulier américains, à venir à Paris et à visiter Art Basel Paris… La Ville Lumière n’a probablement jamais autant été internationale qu’en cet automne. « Avec Art Basel, Paris est devenue encore plus internationale », glisse un visiteur. Outre les nombreux Américains, certains avec une bouteille de Coca-Cola à la main, on notait aussi la présence de davantage d’Asiatiques dans les allées, en provenance de Corée, de Chine, de Thaïlande… Ainsi, la galerie Pace est venue avec ses directeurs des bureaux ou espaces de Hong Kong, Séoul ou du Japon ! L’enseigne se démarque avec un stand spectaculaire curaté par l’artiste Paulina Olowska avec des pièces de Louise Nevelson, Kiki Smith, Lucas Samaras et Olowska elle-même – de grandes peintures mystérieuses. Une sculpture de Kiki Smith, au sol, attendait preneur à 950 000 dollars et une boîte de Lucas Samaras de 1974 pleine de fantaisie était affichée à la coquette somme de 500 000 dollars.
Dans l’ensemble, la tendance n’est plus à la prise de risque. « Nous n’allons pas tester des choses pour tester, mais mettre des œuvres importantes et conservatrices, c’est ce que cherchent les gens en ce moment, une tendance déjà vue à Bâle en juin », confie Anne-Claudie Coric, directrice générale de la galerie Templon. Et d’ajouter : « Le public est dense, et nos collectionneurs parisiens sont présents en masse. Nos nombreux VIP d’Asie ou des États Unis sont venus nombreux et sont particulièrement réceptifs à notre choix de mettre en avant la scène française, de Prune Nourry et Abdelkader Benchamma à Christian Boltanski, en passant par François Rouan ou Gérard Garouste. C’est un changement de paradigme qui montre la vitalité de Paris. » La galerie a cédé entre autres une œuvre de Garouste pour 120 000 euros, une d’Alioune Diagne pour 65 000 euros, une pièce de Chiharu Shiota (en vedette au Grand Palais dès décembre) pour 120 000 euros ou encore une pièce d’Abdelkader Benchamma pour plus de 20 000 euros. Dans l’ensemble, la foire monte d’un cran cette année, nombre de galeries internationales présentant des œuvres de tout premier calibre, dans la lignée de Bâle…
Nahmad Contemporary adresse un clin d’œil au centenaire du surréalisme avec notamment un Magritte cocasse inspiré par Manet, à 8,5 millions de dollars, et un sombre Max Ernst à 10 millions de dollars. David Zwirner montre dans l’allée deux beaux Josef Albers. Hauser & Wirth expose un Malevitch de 1915 « réservé par un Européen » et dont la galerie ne veut pas divulguer le prix, mais qui devrait être l’œuvre la plus chère de la Foire. « Il y a dix ans ce tableau s’était vendu 33 millions de dollars, vous pouvez imaginer son prix actuel. C’est une pièce qui aurait pu être montrée à Bâle. Nous avons fait un effort pour montrer des pièces très importantes, il y a une énergie incroyable dans toute la ville », confie Marc Payot, coprésident de l’enseigne. Celle-ci a accroché dans l’allée une belle peinture de Jeffrey Gibson à 500 000 dollars, l’artiste, qui a représenté les États-Unis à la Biennale de Venise 2024, venant d’entrer à la galerie. « Dans les périodes de turbulences, les acheteurs se concentrent sur des valeurs et des placements sûrs », observe un conseiller. À condition toutefois d’avoir un peu de liquidités. La galerie Landau de Montréal demandait 39,2 millions d’euros pour le très beau Magritte de 1960 représentant un nuage émergeant d’un verre, La Corde sensible. La même œuvre avait atteint aux enchères 16,9 millions d’euros en 2017 à Londres, alors un record pour l’artiste belge. Sept ans plus tard, Sept ans plus tard, le nouveau prix demandé laisse songeur…
Quoi qu’il en soit, certaines galeries – qui avaient très bien préparé le terrain – ont fait un carton hier en fin de journée. Ceysson & Bénétière a ainsi vendu pour un total de 1,8 million d’euros (pour 38 pièces, de Toni Grand à Tania Mouraud) dont 1,2 million d’euros finalisés avant l’ouverture de la Foire… White Cube a fait sold out et cédé notamment une œuvre de Julie Mehretu pour 9,5 millions de dollars. Dans une phase d’adaptation du marché, les grands noms et les artistes largement confirmés font toujours recette. Reste à savoir si ce démarrage très satisfaisant portera aussi ses fruits pour les plus jeunes galeries ou d’autres enseignes françaises, pas toujours bien placées dans la Foire…
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Art Basel Paris, 18-20 octobre 2024, Grand Palais, 3, avenue du Général-Eisenhower, 75008 Paris.