De La Dame à la licorne de Raphaël à la Vierge à l’Enfant avec saint Jean-Baptiste d’Andrea del Sarto (un panneau de 154 centimètres de hauteur), du Portrait d’homme d’Antonello da Messina au Jeune Garçon portant une corbeille de fruits de Caravage, de la Vierge à l’Enfant avec les saints Ignace d’Antioche et Onuphre de Lorenzo Lotto au Cupidon aux yeux bandés par Vénus de Titien, une quarantaine d’œuvres ont fait, pour la première fois, le déplacement depuis la Galleria Borghese, à Rome.
Cette démonstration de force de Culturespaces montre que l’agence présidée par Bruno Monnier est plus puissante que jamais, capable de venir au secours des musées italiens auxquels leur ministère demande de plus en plus de faire fructifier leurs collections. Le propos de Bruno Monnier est clair : « L’exceptionnelle exposition produite par Culturespaces au musée Jacquemart-André met à l’honneur un panorama inégalé de maîtres incontestés de la Renaissance et du Baroque, de Raphaël à Titien, en passant par Caravage, Bernin et Rubens. »
INVITATION AU VOYAGE
Le parcours proposé par le musée parisien dans ses huit salles met en lumière les différents aspects du goût de Scipion Borghèse (« Galerie de portraits », « Scipion Borghèse : un cardinal esthète », « Splendeurs de la villa Borghèse »). Un bémol toutefois : il est regrettable que les œuvres soient moins bien éclairées qu’elles ne le sont à Rome, et surtout que la politique de grands travaux qui ont été conduits n’ait pas pu inclure un volet sur l’éclairage des collections permanentes. À l’impossible, nul n’est tenu, et l’Institut de France a déjà fait beaucoup en restaurant en un temps record le fumoir, l’escalier d’honneur avec sa fresque de Giambattista Tiepolo, le salon de thé, mais aussi en végétalisant la cour de l’hôtel particulier que lui a légué Nélie Jacquemart-André. Face aux Noces de Cana du Garofalo, à Loth et ses filles de Giovanni Francesco Guerrieri, au Concert de Gerrit van Honthorst ou au grand Portrait d’homme de Lorenzo Lotto, il n’est pas impossible que les Parisiens prennent conscience que les grands marbres du Bernin, la salle du Caravage ou la sculpture intitulée Vénus Victrix, dite Vénus Borghèse, d’Antonio Canova aient pris le pas dans leurs souvenirs sur la véritable pinacothèque conservée au premier étage de la Galleria Borghese, abritée par la villa éponyme à Rome. Il est aussi indispensable de se souvenir que ce premier étage a été fermé de 1983 à 1997, période au cours de laquelle les salles du rez-de-chaussée n’étaient guère accueillantes. Depuis 1997, le numerus clausus qui limite le nombre de visiteurs pour des raisons de sécurité et de conservation empêche souvent les moins prévoyants d’entre eux d’accéder au musée.
UNE COLLECTION INFLUENTE
Dans l’exposition « Chefs-d’œuvre de la galerie Borghèse », le public découvre des pépites insignes de l’histoire de l’art, dont beaucoup comptèrent pour les artistes français à l’occasion de leur séjour à l’Académie de France à Rome, comme cela est subtilement évoqué par un dessin d’Edmé Bouchardon d’après Le Bernin, prêté par le musée du Louvre, à Paris.
La présence de la belle copie d’après Léda et le cygne de Léonard de Vinci mérite à elle seule le déplacement. L’original, emporté par l’artiste en France et entré dans les collections royales, certainement en 1518 avec La Joconde et Saint Jean-Baptiste, est porté disparu depuis le CVIIe siècle – il ne fait pas partie de l’inventaire de 1692. La dernière mention, par Cassiano dal Pozzo, date de 1625. Il existe plusieurs copies anciennes, dont un dessin de Raphaël conservé dans les collections royales anglaises, une version peinte, aujourd’hui à la Galleria degli Ufizi, à Florence, et celle de la Pembroke Collection conservée à Wilton House, à Salisbury (Royaume-Uni). Mais l’œuvre de la Galleria Borghese, considérée comme authentique jusqu’à la fin du XIXe siècle, occupe une place de choix par sa qualité. La Sibylle de Cumes du Dominiquin est également entrée dans la généalogie de l’histoire de la peinture française grâce à son influence sur l’œuvre napolitaine d’Élisabeth Vigée Le Brun, et en particulier sur ses portraits de Lady Hamilton.
Aussi, en 2011-2012, l’exposition de la Galleria Borghese, «Les Borghèse et l’antique », avait permis un dialogue fécond entre les collections aujourd’hui présentées dans le musée romain et celles acquises par Napoléon, prêtées exceptionnellement par le Louvre. La présence à Paris de dizaines de tableaux de Scipion Borghèse incite à nouveau à repenser au rôle de ces antiques sur les artistes protégés par le cardinal.
Les visiteurs de la Galleria Borghese, et plus particulièrement ceux qui ont eu la chance de pouvoir visiter la magistrale exposition dédiée au Bernin en 2017-2018, pourront s’étonner que La Chèvre Amalthée avec Jupiter enfant et un faune soit présentée au musée Jacquemart-André sous le nom du Bernin (le groupe était bien présenté comme « attribué au Bernin » dans l’exposition « Bernini »). L’éminent historien d’art Andrea Bacchi a tordu le cou à de belles légendes qui semblent avoir encore la vie longue outre-Alpes. Il n’aurait pas été inutile de prendre en considération le catalogue général des sculptures modernes de la Galleria Borghese*1, publié en 2022 par Anna Coliva, la directrice honoraire du musée, où l’œuvre est bien présentée comme anonyme, solide discours scientifique à l’appui.
-
*1 Anna Coliva (dir.), Galleria Borghese. Catalogo Generale. I. Sculptura Moderna, Rome, Officina Libraria, 2022.
« Chefs-d’œuvre de la galerie Borghèse », 6 septembre 2024-5 janvier 2025, musée Jacquemart-André, 158, boulevard Haussmann, 75008 Paris.