Gaby Sahhar : When language fails, bodies talk
De nationalité française et palestinienne, basée à Londres, Gaby Sahhar aborde dans ses peintures les questions de frontière et de genre sur un mode combatif. Au centre de son accrochage d’une vingtaine de toiles d’un même petit format, elle a fait construire un large socle pour présenter huit objets. Ce sont de petites boîtes en carton peintes de différentes couleurs et ornées de clous pointés vers l’extérieur, de pièces de monnaie ou de punaises. Ce sont des boîtes de dattes Medjool palestiniennes visibles à travers la petite fenêtre de plastique.
Les tableaux se partagent entre la peinture d’un monde presque idéal dans une veine fétichiste et cyborg, et celle d’une réalité conflictuelle où le passage des frontières se fait par l’allégorie ou la plongée dans un univers parallèle. Dans le premier registre, des créatures gainées de vinyle, portant des casques, agissent ou prennent la pose entourées d’un halo de jaune orangé, rouge, vert et noir, telles de véritables icônes. Dans l’autre registre, un dessin qui ressemble à une calligraphie arabe flotte au-dessus d’un mur de ségrégation. À gauche de Wall, Concrete Jump montre un coureur enfermé dans un cercle fait d’éclats de béton. Comme pour brouiller les repères entre ces deux registres, Gaby Sahhar donne à The Activist la silhouette d’une chanteuse de club enturbannée. Dans tous les cas, les visages sont absents. Au terme de cette longue série qui semble tenir de la chronique et du journal intime, l’artiste expose une très large toile qui occupe la quasi-totalité du mur du fond. Inspirée de photos d’archives des Piers de Tribeca, lieu mythique de l’émancipation queer dans les années 1970, la toile montre des individus allongés, courant, sautant dans un décor non précisé qui pourrait être un jardin. Des ballons lâchés dans le ciel donnent à cette composition élégiaque un caractère de célébration.
Du 5 octobre au 16 novembre 2024, Spiaggia Libera, 56, rue du Vertbois, 75003 Paris
Robert Barry : The Space between…
Parmi les créateurs de l’art conceptuel, Robert Barry apparaît comme un véritable amoureux du mot unique (il n’emploie qu’exceptionnellement la locution) sans préférence marquée pour sa catégorie, mot toujours pensé en situation : sur un mur, un sol, un tableau. Le mot isolé ou dans une liste est pour l’artiste un constructeur d’espace. L’espace, c’est aussi l’un des grands sujets de Barry. En préambule à ce florilège d’un demi-siècle de création, on découvre un large anneau de cuivre tendu par des fils exactement au milieu de la surface du mur qui se trouve derrière lui. Certains verront d’abord un anneau, d’autres ne verront que lui, mais d’autres encore se prendront à considérer l’espace autour de l’anneau. Revenons aux mots, présents dans la plupart des œuvres choisies pour cette exposition. Prenons l’adjectif « incomplete » qui figure dans deux des œuvres. À une description de 1969-1970 écrite sur un mur en lettres adhésives – Something that always be incomplete – fait écho ce tableau de 2024 peint sur un petit panneau de bois sur lequel est écrit blanc sur blanc (seul le léger relief des lettres permet de lire) : incomplete. Ce sont deux types d’exercices de pensée qui s’offrent à nous, l’un à partir de la situation, l’autre à partir du modèle pictural. Les deux œuvres se rejoignent dans la volonté de s’étendre au-delà de la surface qui leur semble assignée. Également de 2024, figurent deux groupes de huit petits tableaux carrés, l’un rouge et l’autre bleu clair. Chacun des tableaux porte un mot sur le côté, ton sur ton, qu’on ne découvre qu’en s’approchant. L’expérience de la couleur pure et le respect de la planéité n’empêchent pas de penser au-delà de ce qui s’offre à la vue. En plus de films et d’un diaporama, l’exposition nous permet de découvrir une pièce inédite de 1969. Sur une feuille, Robert Barry avait jeté cette idée : « For an exhibition : a dark room ». La feuille dans sa pochette plastique est fixée au mur, la chambre obscure n’attend que nous.
Du 7 septembre au 2 novembre 2024, Martine Aboucaya, 5, rue Sainte Anastase, 75003 Paris
Paul Maheke : Vert pétri d’eau
« Vert pétri d’eau », c’est la pierre péridot qui a inspiré à Paul Maheke ce titre beau et étrange. Ce participe passé glisse le sens du toucher à l’intérieur d’une couleur. Vert d’eau, c’est sous une nuance marquée et une autre diluée, la couleur des rideaux qui couvrent la plus grande partie des murs de la galerie. Ces rideaux ont été confectionnés avec de la mousseline, ils laissent voir par transparence des dessins peints sur le mur et certains portent eux-mêmes des dessins imprimés sur leur surface. Il s’agit de figures humaines ou hybrides, ces dernières pouvant être rapprochées de grotesques. Ces dessins plus ou moins voilés, plus ou moins nets, apportent avec eux la vision de lieux imaginaires, de palais fabuleux.
On se souvient qu’en 2017, Maheke avait nommé son exposition « Aqua Alta » et qu’il a à plusieurs reprises marqué son intérêt pour l’eau, élément rassembleur et qui constitue 80 % de nos corps. À travers les rideaux, éléments récurrents de son vocabulaire, l’artiste joue sur la porosité entre intérieur et extérieur, et trouble la perception par des superpositions d’images et des effets de bougé. Plus qu’un simple accessoire de présentation, c’est un moyen de définir une autre approche de l’exposition, une autre façon d’ouvrir le cube blanc et d’entrer en contact avec le visiteur. Dans un même esprit d’échange, l’artiste a fait graver un double autoportrait, à la manière d’une étude, sur un miroir légèrement teinté.
Du 5 octobre au 23 novembre 2024, Galerie Sultana, 75, rue Beaubourg, 75003 Paris
Daniel Weissbach : Stellen
Avant d’entamer en 2010 une carrière de peintre, Daniel Weissbach fut sous le nom de Tagno un flamboyant street artiste de Berlin, dessinant des lettres et écrivant des figures comme il le disait lui-même. Il inventa une machine lui permettant d’user simultanément de 22 bombes de peinture et avec elle il traçait de gigantesques boucles sur les murs de sa ville. Les tableaux de la série Stellen (littéralement : endroits) réunis pour l’exposition reproduisent avec une grande précision des pans de murs en carrelage de stations de métro ou de gares de Berlin, avec les altérations apportées par le temps et quelques actes de vandalisme. La peinture est appliquée en couche dense et lisse, et les lignes correspondant au joint sont creusées dans la masse révélant la surface de toile légèrement teintée. Dans certains cas, cela relève du trompe-l’œil, mais le plus souvent, et en particulier dans de très grands formats, le référent devient secondaire. Weissbach introduit des variations dans la largeur des bandes, crée des perturbations optiques, tord les grilles, glisse quelques mots ou chiffres, grave des schémas qui semblent échappés d’un cahier d’astrophysique. Les tableaux ont une très forte présence matérielle mais s’offrent aussi comme support d’improvisation où convergent évocation du contexte urbain et vision cosmique.
Du 5 octobre au 3 novembre 2024, Ruttkowski;68, 8, rue Charlot, 75003 Paris