La semaine élargie de Rendez-Vous Brussels Art Week a tenu toutes ses promesses. Elle témoigne une nouvelle fois de l’intensité de la scène bruxelloise, qu’il s’agisse de grands noms de l’histoire de l’art de la fin du XXe siècle ou de ceux de la jeune génération.
Ces artistes sont mis en avant par les galeries, mais aussi, de plus en plus nettement, par des fondations et centres d’art privés – à l’initiative, pour la plupart, de collectionneurs. Les relations étroites qui existent entre les premières et les seconds permettent, lorsque ces derniers organisent des expositions monographiques, d’offrir un autre type de visibilité aux artistes et à leur travail.
Musée van Buuren
En raison d’un partenariat entre les deux structures, l’énigmatique artiste belge Jan Vercruysse (1948-2018), que l’on pourrait qualifier de postconceptuel, bénéficie à la fois d’une importante monographie, sobrement intitulé « Vie d’Artiste », dans l’espace de Xavier Hufkens et d’une exposition plus ciblée dans l’écrin moderniste et élégant du musée van Buuren. Celle-ci se concentre sur la série allégorique Tombeaux et l’ensemble graphique Labyrinth and Pleasure Garden, qui fait écho au labyrinthe des jardins attenants au musée. C’est là une mise en abyme entre l’institution et l’œuvre d’un artiste féru de littérature et d’histoire de l’art, laquelle est faite de juxtapositions elliptiques de mots, de photographies et d’objets.
« Jan Vercruysse », 6 septembre-17 novembre 2024, musée et jardins van Buuren, 41, rue Léon-Herrera, 1180 Bruxelles.
« Jan Vercruysse. Vie d’Artiste », 13 septembre-12 octobre 2024, Xavier Hufkens, 6, rue Saint-Georges, 1050 Bruxelles.
Fondation CAB
C’est un vaste aperçu du travail de l’Américain Richard Nonas (1936-2021) que la Fondation CAB donne à voir. Placée sous le commissariat du galeriste Christophe Gaillard, la manifestation aborde toutes les facettes de l’œuvre du sculpteur. Elle contextualise d’une part sa démarche, en établissant des liens entre sa formation d’anthropologue et sa pratique artistique dite « postminimaliste » et, d’autre part, plonge le public dans son atelier sous la forme de deux photographies à l’échelle 1:1. Cette dimension monumentale et l’aspect chaotique du lieu contrastent avec la forme souvent minimaliste de ses petits assemblages de plaques métalliques ou de bois parfois peints. Leur construction cruciforme leur confère une apparence sacrée. Christophe Gaillard écrit à propos de Richard Nonas : « L’artiste conservera cette obsession des espaces et de la relation qu’il entretenait avec eux au travers de sa pratique. En maintenant une attitude non professionnelle et intuitive, il cherche ainsi à les investiguer [sic] puis à les réhabiliter. […] Il est un arpenteur, c’est-à-dire à la fois celui qui habite à travers ces incessantes déambulations les lieux dans lesquels il intervenait, mais aussi celui qui mesure ces mêmes espaces. »
« Richard Nonas », 7 septembre-21 décembre 2024, Fondation CAB, 32-34, rue Borrens, 1050 Bruxelles.
Galerie La Patinoire Royale Bach
À quelques nuances près, Gordon Matta-Clark (1943-1998) étant loin d’avoir « une attitude non professionnelle », ces lignes pourraient tout autant définir la pratique de celui-ci. C’est sa formation d’architecte qui a amené l’artiste américain à réfléchir et à travailler comme « sculpteur » (mais aussi photographe et cinéaste) sur des immeubles voués à la démolition. Il en dissèque la structure ou les entrailles par le biais de véritables performances déconstructives. Cette époustouflante opération de césures (à l’échelle urbaine pour certains de ses projets) se retrouve dans ses sculptures (absentes ici), dans ses subtils collages de polyptyques photographiques et dans certains de ses films. L’imposante projection de quatre d’entre eux dans la nef de la Galerie La Patinoire Royale Bach rend compte de la dimension monumentale de son œuvre et du pionnier qu’il fut en la matière.
« Gordon Matta-Clark », 20 septembre-21 décembre 2024, Galerie La Patinoire Royale Bach, 15, rue Veydt, 1060 Bruxelles.
La Loge
C’est aussi de monumentalité et de rapport à l’espace qu’il est question dans les interventions de Thu-Van Tran (née en 1979) au sein des locaux atypiques de La Loge. L’histoire, la littérature et la nature nourrissent son œuvre et tiennent une place importante dans ses installations, lesquelles sont empreintes des concepts de contamination, tant au propre qu’au figuré. L’artiste franco-vietnamienne n’a de cesse de les rendre tangibles en travaillant sur le temps d’une part, et sur la mémoire de l’autre, en un subtil croisement progressif de ces deux notions par l’altération prévisible des matériaux utilisés.
« Thu-Van Tran. Write as the Beasts Cry at Night », 5 septembre-20 octobre 2024, La Loge, 86, rue de l’Ermitage, 1050 Bruxelles.
La Verrière
Après les tâtonnements de ses débuts, en 2023, comme commissaire à La Verrière, Joël Riff, en accentuant le caractère monographique des expositions qu’il programme, semble avoir trouvé la bonne formule. Celle consacrée à Hélène Bertin (née en 1989) montre le fruit de sa récente résidence à la Villa Médicis, à Rome. Gestes et matériaux naturels où dominent le bois, l’osier, le coton teint, le liège, le grès ou des mâts de bateaux s’allient pour donner lieu à une constellation chorégraphique conférant au lieu une dimension chamanique.
« Hélène Bertin. Esperluette », 13 septembre-30 novembre 2024, La Verrière, 50, boulevard de Waterloo, 1000 Bruxelles.
Hangar
C’est une exposition d’envergure muséale que le Hangar offre à la photographie éminemment plastique du Belge Stephan Vanfleteren (né en 1969). Intitulée « L’Atelier », elle rassemble tous les thèmes que celui-ci a traités depuis une douzaine d’années, après qu’il a abandonné son travail documentaire – où il excellait. Ses images parlent de l’existence en général et de l’humain en particulier, de ces corps qui ont vécu ou qui arrivent à la vie. Elles s’inscrivent dans une histoire intemporelle du portrait qui rattache indubitablement l’artiste à la grande tradition picturale flamande des XVIIe et XVIIIe siècles. Le résultat est stupéfiant, tant par la force des clichés que par la profonde humanité qui s’en dégage.
« Atelier. Stephan Vanfleteren », 18 septembre- 21 décembre 2024, Hangar Photo Art Center, 18, place du Châtelain, 1050 Bruxelles.
Fondation Boghossian – Villa Empain
Pour la première fois de son histoire, la Fondation Boghossian consacre une exposition monographique à un artiste européen du XXe siècle d’importance majeure et toujours vivant : Pierre Alechinsky (né en 1927). Avec ses espaces aux tailles variées, l’hôtel de maître Art déco se prête idéalement aux solo shows. Il permet d’explorer en détail le corpus d’œuvres et les différentes disciplines que n’a cessé d’exploiter, avec sa façon de marier peinture et écriture, ce membre fondateur du mouvement CoBrA.
« Alechinsky. Pinceau voyageur », 26 septembre-16 mars 2025, Fondation Boghossian – Villa Empain, 67, avenue Franklin-Roosevelt, 1050 Bruxelles.