Jacques Villeglé : Star
« Star » réunit des œuvres de Jacques Villeglé des années 1980 et 1990 dans lesquelles l’accent est véritablement mis sur la musique, de Bashung à Public Enemy et, dans une moindre mesure, sur le cinéma. Des trois principaux courants qui irriguent son œuvre – l’abstraction picturale, la poésie visuelle et l’imagerie pop –, c’est ce dernier qui est alors prépondérant. En renonçant à l’éclatement des mots et aux détournements de sens, en préservant le plus souvent l’intégrité des images et des noms, Jacques Villeglé avait voulu créer un pont entre son milieu de plasticien et celui des rockers et des rappeurs. L’intérêt se déplace de la lacération, et à travers elle de la rage et de l’insolence, vers une autre forme d’expression publique : la célébration. Avec Johnny, l’artiste tient son portrait du roi. C’est comme une façon pour l’élégant flâneur d’accueillir le chahut contemporain et les préoccupations sociales qu’il porte avec lui.
L’exposition propose un voyage dans la mémoire et à travers l’Hexagone, avec l’impression de retrouver la bande-son d’une décennie. Reste que c’est une œuvre rapportée de la rue de Rennes en 1987 qui symbolise le mieux cet art des rues où se mêlent la fureur et la rêverie. Edward G. Robinson regarde le portrait de la femme dans la vitrine, Tom Verlaine et son French beret nous regardent, et tout le reste est lacérations. Dans l’autre espace de la galerie, la réunion de pièces de différentes époques témoigne de la faculté de Jacques Villeglé à suivre sa ligne tout en se nourrissant des bruits et des images de l’époque.
Du 20 septembre au 26 octobre 2024, Galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, 33 & 36 rue de Seine, 75006 Paris
David Maljkovic : Samples & Sources
Connu à travers ses collages, vidéos, installations, sculptures faits de mises en abyme et de télescopages, David Maljkovic surprend par une exposition d’une douzaine de tableaux. Il ne s’agit pas pour lui d’une conversion ni d’un retour à la peinture, mais d’opérer une investigation dans le domaine pictural. Les tableaux, de petit format et encadrés, sont d’une facture plutôt anonyme, exemples d’une modernité sans âge où une figuration stylisée s’accompagne de plans de couleur artistement brossés. Ce sont des variations sur l’atelier, le portrait de l’artiste, avec le chevalet et la palette (celle-ci surtout) comme motif récurrent. On note des figures partiellement effacées sous un repeint, et des parties qui paraissent inachevées. Les tons sont sourds avec une dominante verte. Deux tableaux, éléments de deux diptyques, se distinguent en cela qu’ils sont en toile brute et ne portent aucune trace de peinture mais des incisions au laser. Ces incisions, on les trouve aussi sur les œuvres de peinture, soit comme un dessin superposé, soit pour marquer certains contours. Elles produisent un effet de rature et font naître une réalité nouvelle.
Pour marquer un élargissement à la réalité, au monde, on a tracé des bandes sur un mur avec du pigment mélangé à du plâtre. Sont aussi accrochées, en deux endroits, deux portes en MDF couvertes (en partie pour l’une) d’un échantillonnage de couleurs. Ces panneaux fonctionnent comme des palettes mais le symbolisme de la porte est souligné par la présence sur l’une d’elles d’un heurtoir à figure de lion. Dans la deuxième salle, on découvre un tableau coupé en deux parties au jet d’eau. Sur celui-ci, la palette est devenue véritable panse ou baleineau blanc, le symbole peut-être de la volonté expressive. Au terme d’une subtile conversation, David Maljkovic choisit le coup d’éclat et donne à celui-ci un titre éloquent : The Missing Master.
Du 12 septembre au 12 octobre 2024, Dvir Gallery, 13, rue des Arquebusiers, 75003 Paris
Bertrand Lamarche : Swallowed
« Swallowed », soit avalé, ou englouti, c’est un mot que l’on trouve dans l’une des trois nouvelles installations pour salles obscures que présente Bertrand Lamarche. Les trois installations sont chacune constituées d’une maquette d’architecture disposée sur une table, éclairée par de petits spots, et filmée par une caméra en circuit fermé qui projette l’image sur le mur. Sur chacune des maquettes un texte ou bien un mot tourne de façon ininterrompue et, grâce à de minuscules miroirs, les lettres se trouvent démultipliées sur l’écran. Le mot « Swallowed » est lui porté par le bras animé d’une sorte de grue. À travers ces dispositifs qui évoquent les trucages du cinéma ancien, Bertrand Lamarche nous invite à nous projeter dans un espace de fiction critique. Les maquettes sont des barres modernistes très standards, et les textes sibyllins paraissent renvoyer au processus lui-même et à des questions plus larges. Entrent un jeu la fascination de l’image animée, celle des villes, mais aussi certainement la question de la place du spectateur.
Parallèlement aux installations sont projetés deux films récents. L’un, The Funnel/Radiance, fait danser des maquettes d’immeubles sur une musique techno à laquelle ils s’accordent. Funnel, néologisme souvent utilisé par Bertrand Lamarche, contraction de fun et de tunnel, nomme ici la transe. L’autre film, L’Homme aux étangs, est un récit fantastique dans lequel il est question d’un géant et d’un monstrueux serpent de vase. On y voit le texte d’une narration défiler sur des bobines, un décor de maquettes d’immeubles et de trains derrière lequel apparaissent parfois l’image projetée d’une main ou d’un ventre qui font deviner le géant, et des plans sur des détails du dispositif. C’est comme un élargissement du point de vue à partir de l’exposition.
Du 28 septembre au 26 octobre 2024, Galerie Poggi, 135, rue Saint Martin, 75004 Paris
Rainier Lericolais : Paroles gelées
Musicien et artiste, Rainier Lericolais a fait de la musique et des voix enregistrées le thème directeur de son œuvre plastique muette. Autour d’un Baquet de Mesmer, large cylindre avec en surface des empreintes de disque vinyle, l’artiste a disposé un ensemble de constructions murales et deux instruments de musiques détournés en têtes un peu dada. Les constructions ont une ressemblance de surface avec les reliefs Pround’El Lissitzky et fonctionnent comme des présentoirs. Chacune de ces pièces s’inspire d’une œuvre littéraire, musicale ou cinématographique qu’elle évoque par quelques indices tangibles : le chat souriant du Mystère Koumiko de Chris Marker, la lettre que lit Jeanne Moreau à la fin de La Notte, les pages du Quart Livre dans lesquelles apparaissent les paroles gelées (mythe fondateur de l’enregistrement). À côté de ces repères, sont disposés différents objets et dessins qui complètent l’évocation ou créent une dérive, avec toujours un élément musical sous forme de bande enregistrée, de mécanisme de boîte à musique ou d’orgue de barbarie. Dans ce choix d’œuvres qui évoquent la possession par la voix (Le Dibbouk qui a inspiré de nombreux dessins), la voix off, ou même le doublage, on devine un portrait en creux de l’artiste. Avec ces autels miniatures, mixages virtuels de sons et d’images, il donne forme au lien intime qui le rattache à elles.
Du 12 septembre au 19 octobre 2024, Galerie Bernard Jordan, 12 rue Guénégaud, 75006 Paris