Pourquoi, en tant qu’artiste, vous êtes-vous donné pour mission de défendre la scène française de la peinture, et pas simplement votre travail ?
Ma démarche part d’abord d’un traumatisme qui remonte au moment où je suis rentré au Beaux-Arts de Paris à l’âge de 17 ans. Je pensais que j’allais pouvoir apprendre la peinture, sa technique. Mais, dans les années 2000, les Beaux-Arts de Paris étaient vraiment anti-peinture, dans le sens où il fallait faire de la vidéo, des installations… Je n’avais absolument rien contre, parce que j’ai passé mon adolescence à aller dans les galeries d’art. Mais, d’un seul coup, je me retrouvais devant un mur, face à des railleries. On a jeté 40 de mes peintures à la poubelle, il y avait un climat assez violent ! Aujourd’hui, cela va beaucoup mieux aux Beaux-Arts de Paris, je n’y vais pas souvent, mais il y a moins de problèmes, et 40 % des étudiants veulent faire de la peinture. Il n’y a même pas assez de place pour eux ! Après l’école, j’ai passé 3 ans en Picardie avec ma grand-mère à ne faire que peindre et lire. Facebook est arrivé à ce moment-là, et m’a offert une ouverture, m’a connecté à des peintres. Nous avons créé avec Marc Molk un groupe qui s’appelait Art Quiz. Je postais des détails de tableaux, et il fallait deviner quel était le peintre. Le groupe réunissait environ 2 500 personnes. La philosophe Claudine Tiercelin, du Collège de France, nous a repérés et nous a invités, Marc Molk et moi, à déjeuner, et nous a proposé d’organiser un colloque au Collège de France, la Fabrique de la peinture. Nous avons ainsi réuni en 2014 Jeff Koons, Hernan Bas, Chéri Samba, Glenn Brown, dans la salle Marguerite de Navarre, mais également des jeunes Français comme Eva Nielsen, Amélie Bertrand, Damien Cadio, Ida Tursic & Wilfried Mille, Grégory Forstner… Je suis toujours allé voir les autres peintres, j’ai toujours adoré aller visiter les expositions des autres. Je trouve que c’est dommage d’avoir autant de potentiel, et qu’il ne soit pas assez développé à mon goût. J’aime beaucoup l’histoire de l’art. Elle retrace d’abord la relation entre les artistes et les institutions, la société. S’il n’y a pas le Salon, Courbet ne peint pas Un Enterrement à Ornans.
Vous êtes ensuite parti à Rome…
Oui, j’ai été pensionnaire à la Villa Médicis, c’était la première fois qu’une institution française me faisait confiance, me donnait de l’argent, prenait un peu soin de moi. J’y ai organisé une conférence avec Isabelle de Maison Rouge le 14 février 2019, et j’ai proposé un speed dating de peintres, où j’en présentais 120 en deux heures. J’avais choisi huit artistes très différents, qui étaient à mon avis incontournables, et je leur avais demandé de m’en proposer trois, et ensuite aux trois, j’ai demandé de me proposer trois encore. Nous sommes ainsi arrivés à 120, pour faire le portrait d’une scène. C’est la vidéo qui a le plus de vues sur la chaîne YouTube de la Villa. J’ai eu la chance d’avoir rapidement des articles dans la presse. J’ai travaillé avec la réalisatrice Justine Triet, j’ai joué dans son premier film, un court-métrage qui a eu un très grand succès, et nous avons participé à beaucoup de festivals. L’autre point important, c’est que j’ai traversé une crise un peu existentielle. J’étais un peintre de la banalité – je présente d’ailleurs actuellement au Centre d’art Les Églises à Chelles l’exposition « La fin du banal » –, et j’ai pris conscience à un moment de la dérive climatique. Le banal que je traitais avec confiance était en train de tomber de mes doigts. Je devais changer de manière de travailler. C’était un sujet que j’étais obligé d’aborder, en même temps que je devais trouver de nouvelles manières de se comporter en tant qu’artiste. Mon programme Les apparences sur YouTube, où j’invite des peintres à parler de leur travail, est très lié à la dérive climatique. Il faut arrêter de jouer le jeu de la concurrence, les uns contre les autres, écraser l’autre pour exister. Il faut arrêter de se plaindre et plutôt agir, c’est vraiment l’action comme un moyen de soigner les choses. Les apparences sont nées d’une exposition que j’ai organisée en 2021 au Centre d’Art À cent mètres du centre du monde à Perpignan où j’ai montré la scène française des peintres qui n’avait pas été présentée avant.
Votre émission sur YouTube a eu rapidement un grand succès d’audience.
Aujourd’hui, nous sommes à 450 000 vues. Il n’y a pas d’institution d’art contemporain en France en dehors du Centre Pompidou ou du Palais de Tokyo qui a plus de vues que Les apparences. Parmi les personnes qui regardent, il n’y a que 8 % de Parisiens, mais 5 % de New-Yorkais. Ce n’est donc pas un projet parisianiste. J’aimerais aujourd’hui trouver un sponsor pour pouvoir sous-titrer toutes ces interviews. La prochaine étape est d’inviter des peintres étrangers. Je suis en correspondance avec Richard Estes. Si le contenu est disponible en anglais, cela permettra de faire découvrir la scène française aux étrangers. J’ai choisi de partir des artistes connus. Ils ne le sont pas beaucoup selon moi.
Vous organisez jeudi 19 septembre avec Nicolas Gausserand au musée d’Orsay Le Jour des peintres, un événement réunissant 80 peintres physiquement présents devant leur peinture.
C’est la suite de l’exposition « Les apparences » et des interviews que je réalise pour ma chaîne YouTube. Chaque épisode permet de rencontrer les artistes pendant une heure de manière sérieuse et décontractée. Seront présents également des peintres établis comme Marc Desgrandchamps, Gérard Traquandi, Françoise Pétrovitch… On me reproche parfois de ne pas avoir invité des peintres abstraits, mais des artistes comme Bernard Frize ont décliné mon invitation. Pour Le Jour des peintres, le président du musée Sylvain Amic nous a dit qu’ils attendaient entre 10 000 et 17 000 visiteurs. Les peintres attirent le public ! Une exposition de Françoise Pétrovitch peut être fréquentée par 1 400 personnes le week-end à la galerie Semiose, on arrive presque à un niveau de cinéma.
Pourquoi cet événement est-il organisé au musée d’Orsay et non pas dans une institution spécialisée dans l’art moderne et contemporain ?
Nicolas Gausserand, responsable de l’art contemporain au musée d’Orsay, et Christophe Leribaud, l’ancien président de l’établissement, ont fait un très beau geste en invitant Nathanaëlle Herbelin à faire une exposition. Cette dernière a remporté beaucoup de succès. L’artiste a parlé de ses amis peintres, de mes interviews et Nicolas Gausserand a ensuite proposé de donner une carte blanche aux Apparences. Au départ, ce devait être des débats et puis nous nous sommes dit que l’on devait aussi montrer leur travail. Mais il fallait le faire sans que ce soit problématique pour les régisseurs. En tout, nous avions 77 artistes et j’en ai invité 3 autres pour arriver à 80. Un comité scientifique a été mis en place, composé de Laure Chabanne, conservatrice en chef Peinture ; Sophie Eloy, responsable de la documentation, de la bibliothèque, des archives et de la recherche au musée de l’Orangerie ; Leïla Jarbouai, conservatrice en chef Peinture et Arts graphiques ; et Jean-Remi Touzet, conservateur Peinture. Chaque artiste va apporter une œuvre qui sera présentée sur un chevalet dans la nef du musée d’Orsay. Chaque exposant a choisi d’être mis en relation avec une sculpture, une peinture, ou l’architecture de l’institution. Ainsi, Marlène Mocquet présente un tableau qui fait 3 mètres sur 5 près d'Un Enterrement à Ornans de Gustave Courbet. Nina Childress a réalisé un tableau spécialement pour être à côté de L’Olympia de Manet. Apolonia Sokol nous a proposé un tableau d’elle nue, titré Moi, qui sera exposé dans la salle des autoportraits d’Orsay, entre Cézanne et Meissonier. Julien Beneyton présente une peinture du Mali qui sera à côté d’un orientaliste qui a peint des têtes africaines. Pour éviter de faire des trous dans les murs, toutes les œuvres seront exposées sur des chevalets qui nous ont été prêtés avec amitié par Marin Beaux-Arts. Aucune œuvre d’Orsay n’est cachée. Lors de cette journée, tous les artistes seront présents de 14 heures à 21 h 30, sauf deux ou trois. Ce sera un moment unique de rencontre, une fête.
Cet événement est-il pour vous une manière de prendre un peu une revanche par rapport à l’invisibilisation qu’a subie la peinture contemporaine dans les institutions, et notamment françaises ?
Le 10 octobre, j’organise un débat à l’ADAGP durant lequel j’ai demandé à des comédiens de lire un bêtisier de ce que les artistes des Apparences ont entendu sur la peinture. Par exemple, « au Cnap, on n’aime pas la peinture ». Des phrases comme celles-là m’ont poussé à lancer Les apparences. Je voyais bien qu’il y avait un retour du regard sur les peintres, et qu’une certaine « hype » entourait ces jeunes artistes. Paradoxalement, c’est un domaine où les œuvres des jeunes sont beaucoup plus chères que celles des anciens. Les émergents ne se rendent pas compte de ce qu’était le marché auparavant. Mais dans le même temps, on ne peut pas dire que la question du rapport entre les institutions et les peintres soit réglée.
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« Le jour des peintres. 80 peintres contemporains de la scène française à la rencontre des visiteurs », le 19 septembre 2024, de 14 h 00 à 21 h 30, nef du musée d’Orsay, 75007 Paris