C’est un vaste espace industriel de 3 600 m2 construit il y a tout juste un siècle et comprenant deux grands plateaux, que Constantin Chariot inaugure à la mi-septembre 2024, lors du week-end d’ouverture de la saison, renommé Rendez- Vous Brussels Gallery Week. Chaque plateau possède des fonctions différentes mais complémentaires. La partie avant du rez-de-chaussée, avec sa suite de colonnades, accueille la galerie proprement dite : l’Espace Constantin Chariot. Dans un deuxième temps, en 2025, la partie arrière sera affectée à des ateliers, tandis que le premier étage sera dévolu à une dizaine de résidences d’artistes : le projet Atoma – le bâtiment abritait le siège historique de la marque belge Atoma et l’atelier de production de ses cahiers à anneaux. Les anciens bureaux de l’entreprise, situés au niveau de la rue, seront occupés par les espaces d’accueil de la galerie ainsi que par un bar-bibliothèque. Des événements et des rencontres y seront proposés tous les jeudis soirs.
À peine distant d’un bloc de maisons du centre d’art contemporain WIELS, l’édifice est localisé dans l’ancien quartier industriel de Bruxelles, à proximité de la gare du Midi, dont plusieurs immeubles ont depuis été transformés en espaces culturels. La pionnière en la matière fut Anne Teresa De Keersmaeker qui y établit sa compagnie Rosas en 1983. S’y trouvent également les lieux d’exposition de la Fondation A (la collection photographique d’Astrid Ullens de Schooten Whettnall, un des temps forts des Rencontres d’Arles 2024) et de la prolifique collection de Galila Barzilaï-Hollander, mais aussi le monumental volume de la galerie Lodovico Corsini (anciennement Clearing) ainsi que ceux, plus modestes, des galeries Montoro12, Lee-Bauwens et Eric Mouchet. Cette dernière partage les étages d’une maison avec les galeristes Martin Kudlek et Patrick Heide. La réouverture du bâtiment Atoma viendra ainsi renforcer l’attractivité culturelle et sociale de ce quartier.
Les lignes directrices
C’est la première fois que Constantin Chariot, 53 ans, se trouve à la tête d’un projet personnel, lui qui, jusqu’à présent, a tracé son parcours dans le monde de l’art pour le compte d’autrui. En effet, cet entrepreneur culturel a été tour à tour directeur des Musées Gaumais dans la province du Luxembourg belge (tout en menant une courte carrière de banquier et de conseiller politique culturel), directeur général des Musées de la Ville de Liège (2008-2010), directeur général de la maison de ventes Pierre Bergé & Associés à Bruxelles (2010- 2012), puis de la Fondation Bruno Lussato dans la même ville (2012- 2015). En 2014, il a rejoint l’homme d’affaires et collectionneur Philippe Austruy et la galeriste Valérie Bach dans le but de créer La Patinoire Royale, dont il devient le directeur général. Il quitte l’enseigne en 2023 pour se lancer dans cet ambitieux projet. Comme il le dit lui-même : « Cela me donnera la possibilité de promouvoir des projets qui m’intéressent et qui, par ailleurs, ont souvent été refusés, incompris ou mal exploités dans les précédentes structures que j’ai dirigées. » (Entretien dans L’Écho du 4 mai 2024).
La programmation de ce nouvel espace s’inscrit en partie dans la lignée de celle menée par Constantin Chariot à La Patinoire Royale, c’est-à-dire centrée sur l’art moderne belge de l’immédiat après-guerre aux années 1980, dans la continuité des grandes expositions thématiques qu’il y a organisées et qui ont contribué à réévaluer cette scène et ces artistes (Notamment les expositions retentissantes « Sculpting Belgium : la sculpture en Belgique durant les Trente Glorieuses (1945-1975) » en 2017, « Painting Belgium. Abstraction en temps de paix (1945-1975) » en 2019 et « Belgium Women. Peinture belge abstraite d’après-guerre » en 2020). La création actuelle belge mais aussi internationale ne sera pas en reste, que ce soit sous la forme de présentations collectives – le lieu s’y prête à merveille – ou personnelles. Abordé quelquefois à La Patinoire Royale (par exemple, en 2016, la réunion exceptionnelle de pièces de Jean Prouvé et Takis, avec la collaboration de la galerie parisienne Downtown), le design contemporain devrait également trouver sa place dans ce programme.
Le tropisme de l'abstraction
Constantin Chariot a toujours défendu une ligne éditoriale axée sur l’abstraction et ses grands questionnements, notamment son rapport au réel, incluant la production dite « artisanale » ou « manuelle ». Selon lui, les temps ont évolué, car, « depuis la pandémie de Covid-19, il y a eu un changement de paradigme : la réalité a repris le dessus. Les gens ont besoin de s’incarner dans des récits qui sont un peu plus symboliques, un peu moins silencieux, si je puis dire. Il s’agit de se réapproprier le réel dans un monde où il est de plus en plus remis en cause, artificialisé, synthétisé. C’est ce que l’exposition inaugurale tente de montrer. » « Je la conçois comme un véritable commissariat, déterminant une partie de la ligne éditoriale de mon espace-galerie. Je pourrais l’identifier comme celle d’une abstraction enchanteresse, tout en restant ouvert aux autres formes qui ont constitué ce mouvement depuis un siècle, même si tout a déjà été fait », développe-t-il. Parmi la quinzaine d’artistes présentés dans cette première exposition, citons Jean-Marie Bytebier, Christian Bonnefoi, Colette Duck, Didier Mahieu, Carolyn Quartermaine, Christian Sorg, Johan Van Mullem, Nina Anduiza ou encore Éric Fourez – lequel vient de bénéficier d’une rétrospective au BPS22, à Charleroi.
Dans le projet de Constantin Chariot, la galerie qui prendra place au rez-de-chaussée s’articulera avec ce qu’il appelle une « ruche d’artistes ». Celle-ci abritera en 2025 une dizaine de résidences temporaires, un atelier permanent ainsi qu’un lieu de vie partagé dans une maison adjacente. Il précise que « ce pôle de création vivante fonctionnera en étroite collaboration avec la galerie qui en constituera également la vitrine ». De ce fait, les artistes en résidence dans le bâtiment pourront être amenés à exposer dans l’Espace Constantin Chariot, après avoir bénéficié des infrastructures collectives mises à leur disposition. Le fondateur du lieu aspire désormais à ce que « l’Espace Constantin Chariot déplace les artistes et non les œuvres », car « c’est plus économique et plus écologique ».
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« Aux Frontières du Réel – Paréidolies », 12 septembre-9 novembre 2024, Espace Constantin Chariot, rue Pierre-Decoster 110, 1190 Forest.