La 3e édition de Frieze Seoul s’ouvre dans un contexte économique et social difficile pour la Corée du Sud. Cette année, le pays prévoit une croissance du PIB de 2,5 %, après une hausse de 1,7 % l’année dernière ; mais le président conservateur Yoon Suk Yeol fait face à des accusations de corruption, et plus d’un million de Sud-Coréens ont signé une pétition réclamant sa destitution.
« Le marché de l’art coréen a été d’une manière générale lent cette année », observe Jinsu So, chercheur, chroniqueur et professeur émérite à l’université de Kangnam. Après le lancement de Frieze Seoul en 2022, le niveau d’intérêt pour l’art a augmenté et les attentes se sont accrues sur la base des achats effectués sur les marchés étrangers, avec l’ouverture de nombreuses nouvelles galeries en prévision d’une expansion continue. Cependant, il est devenu difficile de trouver des collectionneurs, d’abord en raison de la pandémie et aujourd’hui à cause de la récession économique mondiale qui s’ensuit. Si la fréquentation des foires d’art a augmenté, les résultats des ventes n’ont pas suivi. »
Pourquoi le marché de l’art coréen est en pleine transition
Les investissements à court terme dans l’art, populaires en 2022, ont diminué, tout comme les transactions d’œuvres d’art à prix élevé lors des ventes aux enchères. Le monde de l’art se tourne donc vers le mois de septembre « en espérant des nouvelles positives », explique Jinsu So.
« Le marché de l’art ici a tendance à réagir de manière sensible aux facteurs externes », ce qui fait de septembre un indicateur important, déclare Yumi Koh, responsable du développement commercial en Corée chez White Cube. Présente en Asie depuis 2012, la galerie a ouvert un espace permanent à Séoul en septembre 2023. « La vague initiale d’expositions pop-up par des galeries internationales sans présence permanente en Corée, qui se sont multipliées les années précédentes, semble ralentir cette fois-ci », remarque-t-elle.
« Dans l’ensemble, le marché de l’art passe d’une phase de croissance rapide à une phase de maturité, analyse Eunice Jung, directrice de la Foire Korea International Art Fair (KIAF). Bien qu’il y ait eu une légère contraction due à des facteurs économiques, l’accessibilité accrue et l’impact culturel de l’art contemporain continuent d’entraîner des développements positifs dans ce secteur. »
L’impact des galeries internationales
Selon Eunice Jung, l’enthousiasme local à l’égard de l’arrivée de nouvelles galeries internationales en Corée « reste fort », les participants au Salon KIAF 333Gallery de Bangkok et Lazy Mike de Riga espérant rejoindre les rangs des galeries de premier ordre telles que Pace, White Cube, Perrotin, Thaddaeus Ropac et Lehmann Maupin. « Si l’afflux de galeries internationales et de foires d’art mondiales a intensifié la concurrence, il a également favorisé la croissance et l’amélioration des galeries et des artistes locaux », affirme Eunice Jung, ce qui, en retour, « a contribué de manière positive au développement de la scène artistique locale. »
Toutefois, son optimisme n’est pas unanimement partagé. Le conservateur Kim Inhye décrit l’arrivée des galeries comme un « phénomène étonnant », mais prévient : « Il n’y a aucune garantie que cet afflux se poursuive. Il est clair que l’intérêt du public coréen pour l’art, en particulier l’art étranger, s’accroît, mais on peut se demander s’il sera profondément enraciné. Les Coréens s’adaptent facilement et sont ouverts à de nouvelles choses, mais ils les rejettent aussi facilement, une fois passées de mode ». De plus, les nouveaux arrivants étrangers « auront un impact significatif sur l’environnement local ». Pour les artistes et les galeries coréens, « il sera difficile de survivre si vous n’avez pas de marché international » et l’inévitable concurrence accrue « est une arme à double tranchant ».
« Les galeries étrangères provoquent un choc externe sur les galeries coréennes en montrant leur compétitivité à travers les niveaux de service et la puissance de promotion, ajoute Jinsu So. Elles sont d’âpres rivales et la concurrence pour la représentation exclusive d’artistes devrait s’intensifier. »
Pour les galeries non coréennes opérant dans le pays, l’inscription d’artistes locaux sur leur liste presque aussi rapidement que la signature de leur bail témoigne d’une adhésion à l’art coréen. Cette représentation, souvent partagée avec une galerie locale, peut permettre aux artistes coréens de bénéficier d’expositions régulières à l’étranger, qui se déroulent souvent en même temps que la Semaine de l’art de Séoul. Perrotin expose Lee Bae à New York (du 6 septembre au 19 octobre) et Lehmann Maupin exposera Sung Neung Kyung dans ses espaces new-yorkais le mois prochain (du 17 octobre au 9 novembre).
« On nous demande souvent si White Cube recherche des artistes coréens et la réponse est à la fois oui et non », témoigne Yumi Koh. La galerie est toujours à la recherche de nouveaux talents, mais elle « ne sélectionne pas les artistes en fonction de leur nationalité ». L’artiste coréen Lee Jin Woo est exposé chez White Cube à Hongkong (jusqu’au 7 septembre) et la galerie a beaucoup travaillé avec Park Seo-Bo, décédé l’année dernière, en l’exposant à Londres et à Hongkong, et prochainement à New York (du 8 novembre au 11 janvier).
Financement public et « écosystème artistique collaboratif »
Selon la directrice de la KIAF, Eunice Jung, les institutions locales et le ministère de la Culture, des sports et du tourisme se coordonnent pour « favoriser un écosystème artistique collaboratif… et créer une plateforme complète pour l’art contemporain » tout au long de l’année. Malgré le ralentissement économique, le nombre de foires d’art a considérablement augmenté, dit-elle, avec environ 100 foires organisées dans tout le pays, y compris la première édition de Galleries Art Fair à Suwon en juin dernier. Cette foire, organisée par l’entité mère de la KIAF, l’Association des galeries de Corée, est une émanation de la foire qu’elle propose à Séoul depuis 1979. JaeMyung Noh, une jeune collectionneuse, a quant à elle lancé la nouvelle foire Art OnO en avril, et d’autres sont en cours de préparation.
Outre le financement substantiel qu’il accorde aux arts, le gouvernement coréen a assoupli cet été les restrictions à l’exportation des œuvres d’art locales produites après 1946 et a commencé à mettre en œuvre la loi sur la promotion de l’art (Art Promotion Act), adoptée l’année dernière. La législation normalise cette année l’enregistrement des transactions d’œuvres d’art, crée une base de données des collections d’État et institue une étude de marché annuelle ainsi qu’un plan de développement quinquennal. La période de grâce durera jusqu’en 2027, après quoi les taxes sur la revente d’œuvres d’art seront mises en place.
Selon Hong Minjae, directeur adjoint au ministère de la Culture, la loi définit l’art au sens large comme incluant tous les supports, ainsi que les performances et les installations. La période de grâce pour les taxes à la revente est « une période de préparation afin que le système puisse être mis en place de manière stable. Pendant le moratoire, nous prévoyons de recueillir les opinions du terrain et des experts en vue d’affiner le système ». Il ajoute que la Corée discute de ce dispositif depuis 2007 et qu’en janvier dernier, 106 pays avaient mis en place des politiques similaires, telles que le droit de suite de l’artiste.
Kim Nahyung, directeur de la galerie émergente ThisWeekendRoom, estime que l’application de la nouvelle loi est essentielle. « Une loi bien conçue peut orienter le secteur dans une direction positive, dit-il. Toutefois, compte tenu de l’histoire relativement limitée du marché de l’art coréen, j’espère qu’elle ne restera pas une politique idéaliste qui n’existe que sur le papier. »
Selon Eunice Jung, la loi a suscité des « réactions mitigées » de la part des galeries, qui craignent qu’elle ne soit qu’une nouvelle version d’une ancienne loi impopulaire sur le commerce d’œuvres d’art, dont les mesures restrictives ont freiné le développement d’un marché libre.
Bien que les galeries soient « généralement favorables » aux versements de droits de suite, leur mise en œuvre les fait hésiter. « Étant donné le manque actuel de transparence dans les transactions d’œuvres d’art et la taille relativement petite du marché, il est à craindre que seuls quelques artistes de renom en bénéficient. En outre, l’obligation de divulguer les détails des transactions pourrait imposer des obligations trop lourdes, tempère Eunice Jung. Bien qu’il y ait un large consensus sur l’importance de protéger les droits des artistes, on peut craindre que les nouvelles réglementations n’exacerbent les problèmes d’un marché déjà en proie à des difficultés. »