À 14 ans, Fabrice Hyber visite pour la première fois le musée d’art moderne et contemporain des Sables d’Olonne, non loin de la commune de Château-Guibert où il grandit. L’institution, inaugurée en 1963, est pionnière. Elle conserve des fonds majeurs de Gaston Chaissac et de Victor Brauner qui émerveillent ce fils d’agriculteur, frappé aussi par les expérimentations du groupe Supports/Surfaces qu’il découvre. Un monde de plaisir et d’explorations multiples s’ouvre tout à coup devant lui, libre, joueur, sans limites. Un demi-siècle plus tard, invité par le musée qui fête les 60 ans de sa création, il retrouve le climat et les couleurs du littoral cher à son cœur – le vert de la mer, le gris du ciel, le jaune du sable – à l’occasion d’une double exposition dans les espaces du musée et à l’Abbaye Saint-Jean d’Orbestier, à trois kilomètres de là. L’exposition intitulée « La fabrique du climat » est placée sous le commissariat de Gaëlle Rageot-Deshayes et Philippe Piguet. L’ensemble des œuvres présentées – peintures anciennes et récentes au musée, objets et constructions de grande dimension sous les voûtes de l’Abbaye – témoigne de la constance de la réflexion de l’artiste sur le sujet. Très tôt, il dessine des nuits entières la lune qui monte et descend dans le ciel. Encore étudiant, il cherche à représenter l’influence du temps sur les hommes et la nature. Pour lui, un tableau n’est pas un objet de contemplation passif. Il est un moyen de formuler des questions, d’émettre des hypothèses, de proposer une action qui permettra de tirer parti des problèmes et d’adopter de nouveaux comportements. Comment vivre avec le réchauffement climatique, comment empêcher la montée des eaux qui grignote la terre, empiète sur les marais asséchés ? Pas en s’opposant au changement, mais au contraire en l’épousant. En évoluant avec lui. Construire une digue, oui, peut-être, mais une digue qui deviendrait autre chose, une route par exemple, laquelle nous emmènerait ailleurs.
À vrai dire, « fabriquer du climat », les êtres humains n’ont fait que cela en construisant des maisons dans lesquelles ils peuvent produire de la chaleur alors qu’il pleut dehors, faire tomber la pluie en tournant le robinet de la douche, créer du vent en ouvrant les fenêtres, ainsi qu’il le rappelle avec sa fantaisie coutumière dans Climats (2023), au style délibérément enfantin. Mais pour trouver des solutions, il ne faut pas éluder les problèmes, il faut, prévient-il, les regarder en face et laisser la pensée se déployer dans l’inconnu, courir De fil en aiguille, pour reprendre le titre d’une de ses œuvres de 1988. C’est la crainte du changement qui nous étouffe suggère-t-il, car, en réalité, l’espèce humaine est opportuniste : elle s’adapte en permanence. On en prendra pour preuve ce tableau très amusant montrant une famille de Martiens à la plage avec lesquels nous pourrions bien fraterniser un jour lointain. Ou, à l’Abbaye, ce gros nuage en toile de parachute, actionné par des ventilateurs, d’où s’échappent des milliers de gouttes d’eau artificielles, sans oublier (toujours à l’Abbaye) ce squelette enrobé d’une terre régulièrement arrosée, dans laquelle la vie renaît lentement.
Toutefois, les expositions de Fabrice Hyber ne sont pas indépendantes des autres entreprises qu’il met en place depuis des années à l’échelle de sa Vendée natale afin d’inventer des relations inédites à l’environnement et aux autres. « Créer des objets ne suffit pas, explique-t-il. Je veux créer des opportunités de situations originales et de manières de vivre inhabituelles ». C’est dans ce contexte que s’inscrit son projet tentaculaire d’aménagement de La Vallée qui devrait émerger à partir de 2026. Au cœur de celui-ci se trouve une forêt de cent hectares semée (et non plantée) par l’artiste il y a vingt ans et dont l’exploitation lui permettra d’ouvrir progressivement un musée de matériel agricole, un centre d’études sur le paysage et la biodiversité, un musée de la bande dessinée, un élevage de moutons, un restaurant, un parc de 150 prototypes d’objets en fonctionnement (POF)… Bref, tout un réseau de lieux de rencontres et d’échanges où continuera à se répandre dans l’atmosphère sa fabuleuse énergie et son « hyber-optimisme ».
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« Fabrice Hyber. La Fabrique du climat », jusqu’au 29 septembre 2024, Musée d’art moderne et contemporain des Sables d’Olonne, Rue de Verdun, 85100 Les Sables d’Olonne ; Abbaye Saint-Jean d’Orbestier, Rue de l’Abbaye, 85180 Les Sables d’Olonne.