On pourrait résumer Kader Attia (né en 1970) par l’interrogation suivante : « La spiritualité permet-elle d’échapper à l’emprise de l’histoire ? » Cette question, l’artiste se la pose dans une extrême diversité de dispositifs l’amenant, presque toujours, à produire des images puissantes, dans lesquelles le fond et la forme se confondent ; car le politique n’est jamais éloigné du poétique, comme le discours de la pratique.
De la sorte, photographies, vidéos, collages, sculptures, objets, néons, installations s’entremêlent dans ce parcours qui réfère au purgatoire, à l’enfer et au paradis, comme l’étape actuelle d’un travail en perpétuelle mouvance et itinérance. Il en va ainsi du dernier film de Kader Attia, Pluvialité 1, faisant la part belle aux cultures minoritaires ou aux traditions ancestrales, ici le bouddhisme de la Thaïlande du Nord.
Temporalité
L’une des autres grandes interrogations de l’artiste est celle de la réparation – au sens propre comme au figuré – et de son corollaire, la blessure. En effet, pour Kader Attia, « la réparation est impossible à imaginer sans le préalable de la blessure 1* ». Le visiteur est ici accueilli dans un « enfer » composé de « gueules cassées », cette série de bustes taillés à la hache dans des troncs de bois et disposés sur des structures métalliques, faisant office de squelettes réduits à leur plus simple expression (Culture. Another Nature Repaired, 2014). La violence et la brutalité physique de la Première Guerre mondiale y sont tangibles, conflit rappelé, plus que suggéré, et implicitement dénoncé. Leur succède une installation tout aussi emblématique, cette fois en référence à l’intifada de 1987 (Intifada. The Endless Rhizomes of Revolution, 2016, version réduite par rapport à celle présentée dans le secteur Unlimited d’Art Basel 2024), un autre de ces nombreux conflits traumatisants. Ces œuvres au contenu dramatique, à l’apparence violente, sont néanmoins empreintes d’une certaine poésie, des plus manifestes dans l’installation suivante (Sans titre, 2024), un champ de vingt et un bâtons de pluie articulés dont les mouvements coordonnés produisent un « ballet mécanique » au tempo rythmé par le son qui s’en dégage. Il y est question de temporalité, une notion transcendant tout le parcours, car prendre du temps constitue un préalable essentiel pour saisir toutes les dimensions de ce travail, aux couches de lecture aussi multiples que les strates qui le composent.
C’est particulièrement évident dans la première section de l’exposition, « Le purgatoire », celles des pièces un peu plus anciennes, où l’artiste a posé les bases de son œuvre, dénonçant tout à la fois le capitalisme, le colonialisme, les problématiques de frontières et de différences, lui qui possède la double nationalité française et algérienne et qui réside à Berlin. Sa parfaite connaissance des cultures européennes et africaines, et de leurs influences réciproques, lui permet précisément de créer ces œuvres hybrides et métissées, qui ne peuvent se satisfaire d’un regard ou d’une interprétation univoque.
-
1* Extrait de l’entretien entre Kader Attia et Numa Hambursin (commissaire de l’exposition et directeur général du MO.CO.) dans Kader Attia. Descente au Paradis, à paraître fin août 2024 aux éditions Bernard Chauveau.
-
« Kader Attia. Descente au Paradis », 22 juin - 22 septembre 2024, MO.CO., 13,rue de la République ;
« Être Méditerranée », 22 juin - 22 septembre 2024, MO.CO. Panacée, 14 rue de l’École-de-Pharmacie, 34000 Montpellier.