Dans les espaces atypiques de la galerie Ceysson & Bénétière au domaine de Panéry, dans le Gard, les œuvres ultimes de Frank Stella – décédé le 4 mai dernier – s’imposent par la richesse et la variété de leurs propositions plastiques. Elles constituent l’étape finale d’un parcours initié il y a plus de soixante ans par une peinture minimaliste marquée par la radicalité du noir et blanc, symbolisé par ses célèbres « Shaped Canvas ».
Né en 1936, ce fervent admirateur et connaisseur de l’œuvre du Caravage et de Rubens fait partie de ces artistes majeurs du XXe siècle prompts à braver leur public et leurs collectionneurs. Frank Stella a toujours eu un temps d’avance sur leurs attentes, car son parcours est tout sauf rectiligne, perpétuellement à la recherche d’obstacles qu’il se mettait au défi de franchir. Il y arrive avec cette étonnante capacité à toujours retrouver ses bases : une préoccupation constante de la ligne, de la surface, du volume, de la matière et de la couleur, autant d’aspects à décliner aussi au pluriel, car Stella a en tout temps évité de se laisser enfermer dans un concept univoque.
Une des pièces phare de cette exposition s’intitule Frank’s Wooden Star I (2024) et elle est la seule œuvre présentée à l’extérieur. Elle prend la forme d’une étoile (« stella ») et l’on délaissera son caractère cosmique pour se focaliser sur ses arêtes, réalisées en teck. On pourrait aller jusqu’à considérer celles-ci comme une excroissance structurée de lignes dans l’espace, déployant une figure géométrique, un peu comme si les bandes composant ses célèbres Black Paintings avaient été démontées et reconfigurées en volume spatial. On y retrouve la même radicalité originelle de son travail, comme si la boucle était bouclée, chaque élément en générant un autre, dans un processus de développement croissant, s’affranchissant du mur vers l’espace, dans une perpétuelle mouvance, à la limite constante d’un savant équilibre entre masses et fragmentations, vides et pleins, couleurs et matières industrielles.
C’est ce qui nous est donné à voir dans les deux espaces d’exposition du domaine. Celui de la galerie d’abord, qui mêle œuvres de dimensions plus modestes, dont les trois stupéfiantes Fluid Motion Extended (2020-2021), sorte de visualisation solide de volutes de fumée – on sait que l’artiste était grand amateur d’impressionnants cigares – qui semblent surgir de reliefs rectangulaires traités à la peinture pour automobiles, accrochés au mur comme s’il s’agissait de retables aux multiples interprétations.
Dans l’ancien chai, on retrouve la dimension monumentale du travail de Frank Stella, avec deux œuvres majeures qui encadrent la (mise en) scène de cet ensemble. D’une part un tableau issu de la série « Calling Card » de 2021, transgressivement traité en noir et blanc comme un retour aux sources picturales, car réalisé au cours de la crise du Covid, alors qu’il était difficile pour l’artiste de sortir de son atelier. De l’autre, une pièce somptueuse, La prima spada e l’ultima scopa de 1983, qui donne partiellement les clés de lecture des sculptures plus récentes présentées dans l’exposition. Elle témoigne de la riche complexité de son travail sur les matières et les couleurs, aux frontières du pictural et du sculptural. On pourra revoir cette pièce historique lors de la prochaine « Expérience Pommery » en 2025 à Reims.
« Frank Stella. Recent Works », jusqu’au 30 octobre 2024, Galerie Ceysson & Bénétiere, Domaine de Panéry, Route d’Uzès, 30210 Pouzilhac-Panéry.