Nicole Eisenman : With, and, of, on Sculpture
Nicole Eisenman a conçu son exposition comme un jeu de miroirs entre son travail de sculptrice et celui de peintre. Au cœur de « With, and, of, on Sculpture » se trouve un tableau, Archangel (The Visitors), qui représente le vernissage d’une exposition de sculptures. Avec un art consommé de la compression, elle a entassé une foultitude de personnages dans un style réaliste où se glissent quelques rares figures stylisées échappées d’œuvres d’avant-garde. Les sculptures, ressemblant à des standards modernistes, sont de vrais morceaux de peinture et semblent avoir été découpées dans des toiles de Jackson Pollock ; un peu à la façon des collages de celui-ci. Le titre renvoie à l’Archange Prussien, l’officier à masque de cochon de la foire Dada de 1920. Nicole Eisenman l’a peint dominant la scène et au fond de son tableau, elle a reproduit l’image de Goebbels inaugurant l’exposition de l’art dégénéré. Ces références témoignent d’une inquiétude très actuelle en même temps que d’une interrogation sur l’art comme contre-pouvoir.
À côté de cette grande œuvre narrative sont présentés quatre tableaux qui mêlent le cubisme et le cartoon. L’un d’entre eux, The Artist at Work, est une version féministe drôle et sensuelle de la façon dont la sculptrice-peintre touche ou modèle son sujet.
Au cœur de l’exposition, se trouvent aussi deux éléments du groupe sculpté Procession, un des chocs de la Biennale du Whitney 2019. L’un d’eux, Perpetual Motion, est une géante en bronze qui traîne un chariot et porte un bâton de peinture sur son épaule gauche, bras tendu en avant. Le bâton est lesté à l’arrière de boîtes de conserve, et la main fermée qui le tient ne cesse de se lever et de se baisser. Dans cet autoportrait allégorique s’unissent la révolte et l’accablement.
En deuxième acte à cette exposition déjà impressionnante, Nicole Eisenman présente au premier étage de la galerie une exposition de peintures, dessins, et de bustes sur socles. La figure dominante est une caricaturale gueule en bronze affublée d’un siège Herman Miller retourné en guise de casque. C’est un dadaïsme d’aujourd’hui au milieu d’un accrochage en apparence classique. Ultime jeu de miroirs : le motif peint sur l’un des murs est la reprise de celui de Archangel (The Visitors). L’artiste nous promène véritablement entre les dimensions ; quatrième comprise.
Du 5 juin au 21 septembre 2024, Hauser & Wirth, 26 bis rue François Ier, 75008 Paris
Darius Dolatyari-Dolatdoust : Sans souvenir j’ai en mémoire cet empire
Darius Dolatyari-Dolatdoust est performeur, chorégraphe et plasticien. Il a articulé sa première exposition personnelle en quatre épisodes distincts. Le premier montre un travail élaboré à partir de quelques souvenirs de son père, parti d’Iran en 1980. Trois arches en contreplaqués délimitent trois alcôves avec trois petits tableaux dans un genre illustration pour la jeunesse qui tracent autant d’étapes du parcours. Les témoignages enregistrés sont diffusés dans de petites pochettes en tissu rouge portant l’emblème de l’Iran. Sans préciosité ni pathos, l’artiste travaille avec la mémoire d’un autre.
Dans un deuxième épisode, on assiste à la vidéo d’une performance : un homme et une femme endossent une série de costumes originaux sur fond de drapeaux nationaux découpés en fines lanières. Les costumes, hybrides entre l’humain et l’animal, transforment les deux performeurs en des marionnettes géantes. Ils incarnent des morts et leur séance d’habillage est accompagnée de la lecture d’un mystérieux poème.
Vient ensuite une installation composée de trois coiffeuses chargées d’accessoires. Elles sont d’un même modèle mais chacune, avec les accessoires qu’elle porte, est marquée d’une couleur : orange, vert, mauve. Ces meubles à performances ont une vraie qualité sculpturale. Tout autour d’elles sont figurées des scènes homoérotiques en kilts ou patchworks teintés d’orientalisme, dans des tons très doux.
Une ultime facette de l’artiste est révélée par une salle rouge où différentes pièces en tissu évoquent l’univers de la corrida.
Darius Dolatyari-Dolatdoust réussit une subtile alliance de la scène et de l’exposition en révélant quelques-unes de ses identités.
Du 29 juin au 27 juillet 2024, Suzanne Tarasieve, 7 rue Pastourelle, 75003 Paris
Parallèlement, Darius Dolatyari-Dolatdoust présente : « Eux dansent dans le feu », du 29 juin au 31 juillet 2024, Galerie Fahmy Malinovsky, 44 rue de Sévigné, 75003 Paris
Alan Vega : Cesspool Saints
C’est la troisième exposition personnelle d’Alan Vega (1938-2016) à la galerie Laurent Godin, avec cette fois Jared Artaud, du duo The Vacant Lots, en co-commissaire. La perspective change un peu. Il ne s’agit plus seulement d’appuyer l’idée qu’Alan Vega fut, en plus d’un génie musical, un grand artiste ayant trop longtemps négligé d’exposer, mais d’adjoindre au corpus d’œuvres un ensemble de dessins, gribouillages et collages réalisés dans les chambres d’hôtel ou on-ne-sait où. On revoit avec plaisir le tableau Stars, très « baconien », et on découvre une série de dessins qui travaillent ce même motif d’une défiguration portée jusqu’au blob.
Les grandes pièces d’Alan Vega, ce sont ses compositions minimalistes à base d’ampoules et de tubes fluorescents jetés au sol dans un embrouillamini de fils, et ses croix éclairées. Celles-ci, faites de chutes de bois assemblées avec de l’adhésif ou du fil métallique, portent plus d’une fois la photo d’un boxer ou d’un jockey, héros que Vega s’était choisis. À côté de ces témoignages de passion, il pouvait bricoler une demi-svastika et lui donner comme titre Dachau, avec un sens du tragique rien moins que punk. Vega fut moins l’artiste de la lumière que celui de la lueur au milieu des ténèbres. Et puisqu’il s’agit d’une célébration, la musique composée pour Gunsmoke (montage de films de voyage en 16 mm) est là pour nous accompagner.
Du 17 mai au 27 juillet 2024, Galerie Laurent Godin, 36 bis rue Eugène Oudiné, 75013 Paris
Lou Fauroux : The green lights have now faded
Lou Fauroux a dédié « The green lights have now faded » à une sœur récemment disparue. C’est « une réflexion sur le souvenir, le deuil, les univers fictionnels… », nous dit l’auteure du communiqué. Autour d’une fausse fontaine (une vasque en plastique badigeonnée de blanc avec des tuyaux de douche et des éclats de verre) sont disposés sur les murs ou suspendus des assemblages fait principalement d’accessoires automobiles : tuyaux, phares, réflecteurs. À chacun de ces assemblages à dominante noire se rapporte une chanson qu’on écoute au casque. Les casques audios tombent d’un tuyau d’évacuation d’air argenté. Un dispositif qui donne un peu d’épaisseur matérielle à cette connexion sur des références secrètes.
Le film To whom it may concern est une animation 3D porté par un monologue, des musiques élégiaques et des bruits. Passée la vision d’un jardin bien terrestre, nous sommes transportés dans des ciels gris ou bronze couverts de nuages (mais peut-être sont-ce simplement des vides) où flottent des objets divers et des éléments d’architectures : machines, équipements urbains, mais aussi vitraux abstraits incrustés dans des fenêtres en ogive ou des rosaces de cathédrales, ou bien encore un alignement de tombes en pierre. C’est un film d’objets, beau et austère, dans lequel le virtuel le dispute au spirituel.
Du 4 juin au 13 juillet 2024, Exo Exo, 34 rue Albert Thomas, 75010 Paris