Le livre que consacre l’historien d’art, chercheur et enseignant Quentin Petit Dit Duhal à l’art queer et à l’histoire et à la théorie des représentations LGBTQIA+ vient à point nommé afin d’éclaircir un champ sur lequel beaucoup débattent sans trop savoir vraiment ce qu’il recouvre. On aurait d’ailleurs apprécié l’ajout d’un glossaire tant certains des termes aujourd’hui (sur)utilisés forment un jargon qui finit par obscurcir le sujet même qu’ils sont censés éclairer. Quoiqu’il en soit, l’une des qualités de l’ouvrage est de ne pas réduire cet art queer ou issu de la communauté LGBTQIA+ à des formes ou des figures à identifier et à reconnaître, même s’il pointe légitimement du doigt leur absence aux cimaises des institutions culturelles, leur mise à l’écart dans des espaces plus ou moins dédiés, ou la discrétion quant à l’identité de leur auteur.
LA FABRIQUE DES REPRÉSENTATIONS
« Mon parti pris est moins de faire du queer une catégorie, une mode ou une case à cocher, qu’une approche d’analyse et d’historiographie. » L’auteur observe ainsi, dans un premier temps, le fait que, alors même que quelques artistes ont gagné la possibilité d’exprimer leur spécificité de sexe, de genre ou d’origine, ils et elles ne le font qu’à mots couverts, voire en utilisant des écritures symboliques ou esthétiques déjà inscrites dans l’histoire là où d’autres auraient souhaité trouver une différenciation sinon une affirmation plus explicite.
Dans un deuxième temps, il pose la question de l’authenticité ou de la légitimité de la représentation d’une minorité selon que l’on appartient ou non à cette minorité même. Et celle-ci paraît déterminante : l’œuvre n’est-elle qu’une révélation et une expression de soi, ou est-elle une expérience de la découverte ou de la connaissance de l’autre au-dedans ou hors de soi ? Voire la découverte de soi à travers l’autre et réciproquement.
Le troisième temps de l’ouvrage s’attache aux attitudes à adopter afin de produire des lieux d’art et de recherches ouverts et inclusifs. Il promeut dès lors le fait que les institutions culturelles, de par leurs missions de services publics, doivent faire résonner des problématiques et des enjeux qui agitent notre monde contemporain. Engagements qui ont déjà fait l’objet de vifs débats lors des derniers congrès de l’ICOM (International Council of Museums) en vue de la définition du « musée du XXIe siècle ». Il affirme de même une volonté de les considérer comme des instances décloisonnées de réflexions, d’émancipations et de constructions identitaires afin que les communautés exclues, marginalisées ou périphériques puissent y développer leurs regards et leurs récits sur le monde en général, et non pas uniquement sur leurs combats, leurs luttes, leurs aspirations, leurs désirs, leurs espoirs et leurs futurs propres. Autrement dit : sont-ce nos sociétés qui ont obligé et obligent encore les minorités passées, actuelles et futures à repenser et reformuler le rôle de l’artiste, ses modes d’expressions et le langage de l’art ? Ou sont-ce les œuvres réalisées par ces mêmes minorités qui possèdent en elles-mêmes le pouvoir de transformer l’art autant que nos sociétés contemporaines ? Aux lecteurs de juger…
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Quentin Petit Dit Duhal, Art queer. Histoire et théorie des représentations LGBTQIA+, Paris, Double Ponctuation, 2024, 216 pages, 23 euros.