Reinhard Ernst, un entrepreneur qui a fait fortune dans la fabrication d’engrenages et de moteurs de précision, avait déjà la quarantaine lorsqu’il s’est découvert une passion pour l’art. Aujourd’hui septuagénaire, il vient de fonder un nouveau musée pour abriter sa collection d’art abstrait d’après-guerre à Wiesbaden, en Allemagne.
Le musée Reinhard Ernst, situé dans un bâtiment conçu par l’architecte japonais Fumihiko Maki, lauréat du Pritzker Prize et décédé le 6 juin, doit ouvrir ses portes le 23 juin 2024. Il présentera la collection d’Ernst, constituée depuis les années 1980, d’œuvres d’artistes tels que Helen Frankenthaler, Tony Cragg, Lee Krasner, Frank Stella, Pierre Soulages et Yuichi Inoue.
Avec une façade d’un blanc éclatant, des salles hautes de 14 mètres et des sols de granit gris, le bâtiment offre plus de 2 500 m2 d’espace d’exposition. Il occupe un emplacement de choix mis à disposition par les autorités municipales à proximité du Museum Wiesbaden, musée d’art et d’histoire naturelle, dans le centre de la cité. Les coûts de construction d’environ 80 millions d’euros ont été financés par la Fondation Reinhard et Sonja Ernst.
Le musée a commandé des œuvres en verre à Katharina Grosse, MadC et Karl-Martin Hartmann, ainsi qu’une installation de Bettina Pousttchi pour le foyer. Une sculpture d’Eduardo Chillida est exposée dans une cour intérieure vitrée.
En 1981, Reinhard Ernst et trois de ses collègues ont racheté Harmonic Drive, l’entreprise nippo-américaine de mécanique de précision pour laquelle il travaillait, dans le cadre d’un rachat de l’entreprise par ses cadres. Dans les années 1990, il fait l’acquisition des actions restantes de l’entreprise, puis l’introduit en bourse en 1999. Sept ans plus tard, il fonde une autre entreprise, Ovalo, qui s’est développée en France, au Royaume-Uni et en Espagne en 2016. Il l’a revendue à une société japonaise en 2017 et s’est retiré du conseil d’administration d’Harmonic Drive.
Au fil des décennies, sa collection d’œuvres d’art s’est enrichie, reflétant sa réussite professionnelle. Les premières œuvres qu’il achète sont celles de deux artistes allemands, Karl Otto Götz et Hubert Berke. Lors de voyages d’affaires au Japon et aux États-Unis, il visite des musées et, à la fin des années 1980, il commence à acquérir de l’art japonais et américain.
« J’ai commencé par aimer l’art abstrait, explique Reinhard Ernst à The Art Newspaper. J’ai acheté mes premiers tableaux pour décorer les murs de ma maison. Au fil du temps, j’ai acquis beaucoup de peintures et, à un moment donné, je n’avais plus de murs libres – c’est alors que j’ai compris que j’étais devenu un collectionneur. »
Reinhard Ernst et sa femme Sonja ont créé une fondation en 2000 et ont financé un centre communautaire près de Fukushima au Japon et une école de musique à Eppstein, près de leur ville natale de Wiesbaden. N’ayant pas d’enfants, ils considèrent la fondation comme « leur héritage personnel », selon un communiqué.
Reinhard Ernst raconte qu’il a proposé sa collection à deux musées, mais qu’aucun d’entre eux ne disposait d’un espace suffisant pour y accrocher davantage que quelques tableaux. « C’est ainsi qu’est née l’idée de fonder un musée », explique-t-il.
Outre plus de 40 œuvres d’Helen Frankenthaler, dont Reinhard Ernst dit qu’elle est sa peintre préférée, la collection comprend des pièces d’artistes tels que Robert Motherwell, Richard Diebenkorn, Jackson Pollock, Richard Serra, Damien Hirst, Sarah Morris, Neo Rauch et Toko Shinoda.
Christoph Zuschlag, professeur d’histoire de l’art, l’a décrite comme « unique par sa portée internationale, bien au-delà de l’Europe, jusqu’au Japon et aux États-Unis ; par l’inclusion de tous les groupes d’artistes importants, et par l’ampleur et la qualité avec lesquelles elle documente une série de tendances et de courants » dans l’art abstrait d’après 1945.
Reinhard Ernst collectionne toujours. Sa dernière acquisition, dit-il, est un tableau de l’artiste germano-britannique Michael Anthony Müller. Il achète principalement aux enchères et qualifie la session des grandes ventes de novembre à New York d'« incontournable ».
« J’avais l’habitude de fréquenter les foires, mais aujourd’hui j’y vais beaucoup moins, explique-t-il. Ce que l’on y voit ne reflète pas nécessairement le marché de l’art. Beaucoup d’œuvres sont cédées à des gens qui les revendent quelques années plus tard ou qui les stockent. Je ne suis ni l’un ni l’autre : j’achète pour un musée, pour montrer au public. »
Le musée Reinhard Ernst prévoit une fréquentation de 60 000 visiteurs payants la première année. Les matinées seront réservées aux écoles et aux visites éducatives ; à partir de midi, le musée sera ouvert à tous.
Wiesbaden compte parmi les villes les plus riches d’Allemagne. Station thermale et de casinos, elle a attiré près de 600 000 visiteurs l’année dernière. Des milliers de soldats américains sont stationnés dans la cité et ses environs, un lien dont Ernst espère tirer parti. Il escompte que le musée attirera des visiteurs des États-Unis et du Japon, ainsi que de toute l’Allemagne et de la France voisine. Il souhaite également prêter des œuvres à l’étranger.
« Les contacts avec les musées étrangers seront très importants ; nous sommes en train de les développer », affirme-t-il.
La première exposition temporaire du musée est consacrée à son architecte. « Fumihiko Maki et Maki & Associates : Towards Humane Architecture » sera présentée du 23 juin au 9 février 2025.