Nîmes, sa Maison carrée, ses arènes et, désormais, sa « Contemporaine », nouvelle triennale consacrée à la création actuelle. Baptisée « Une Nouvelle Jeunesse », cette édition inaugurale concoctée par les directeurs artistiques Anna Labouze et Keimis Henni déploie moult médiums : dessin, peinture, sculpture, installation, photographie, film… Outre des temps forts – musique, théâtre, danse, performance, arts visuels –, trois Maisons accueillant artistes en résidence et projets participatifs avec les habitants et une programmation associée – dont la séduisante présentation « Channel » au CACN de Nîmes –, cette nouvelle manifestation consiste, avant tout, en une poly-exposition baptisée « La Fleur et la Force » – sous-entendu « de l’âge » –, disséminée dans une dizaine de lieux de la ville. Budget : « 1,8 million d’euros, dont 1,2 de la municipalité, le reste provenant du département, de la Métropole, du ministère de la Culture, enfin du mécénat », précise Keimis Henni.
« L’idée, souligne Anna Labouze, est d’explorer les préoccupations de la jeunesse actuelle et tous les enjeux de la transmission intergénérationnelle ». Pour entériner cet aspect transgénérationnel, chaque exposition marie deux artistes, l’un « émergent », l’autre déjà établi ou historique, soit une douzaine de binômes. Si le niveau des présentations est inégal, les productions, elles, s’ancrent fortement dans la ville et son histoire, à travers des projets collaboratifs associant écoliers, étudiants ou apprentis-compagnons. À commencer par la splendide installation Water Lines déployée dans les Jardins de la Fontaine par l’architecte Feda Wardak et l’artiste Tadashi Kawamata, deux « lignes aquatiques » en lévitation dans ce populaire parc nîmois, souvenirs de la construction du Pont du Gard par les Romains et de la mystérieuse source sacrée Nemausus qui donna son nom à la ville. Idem sur la Place du Chapitre, où Caroline Mesquita et Laure Prouvost ont « sculpté », avec les enfants de la maternelle adjacente, un manège joyeux et interactif (Bee Be Mon Manège) qui, lorsqu’il est activé, donne vie aux personnages en laiton patiné qui l’habitent.
Au musée de la Romanité, Valentin Noujaïm et Ali Cherri ressuscitent l’empereur-adolescent Héliogabale ayant régné de 218 à 222, mais qui, suite à son assassinat à 16 ans, a fait l’objet d’une damnatio memorae, autrement dit d’un effacement des archives historiques. Au Temple de Diane, le premier a filmé, selon les codes du théâtre antique, trois émotions de cette figure controversée – cynisme, tristesse, folie –, que symbolisent trois masques conçus par le second.
L’adolescence passe au tamis postapocalyptique. Au musée des Cultures taurines, s’appuyant sur les œuvres féministes et pyrotechniques de Judy Chicago, Aïda Bruyère fait jouer, dans les arènes, une troupe de jeunes en quête d’une nouvelle société (Make Up Destroyerz III), avec costumes, armes en carton et fumigènes, saynète d’anticipation mixant combat de gladiateurs, culture tauromachique et… hooliganisme. À la Chapelle des Jésuites, une étrange révolte d’enfants qui aurait eu lieu en 1212 à Jérusalem sert, elle, de prétexte pour réunir June Balthazard et Suzanne Husky en une merveilleuse installation intitulée Habiter la forêt, ode à l’activisme écologique. Le film de la première – Millennials –, tourné dans une forêt du Morvan, évoque une société (sans parents) d’adolescents politisés qui vivent en quasi-autonomie dans leurs cabanes haut perchées, afin de lutter contre la déforestation. En vis-à-vis, la seconde a dressé une cabane en branches, métaphore de l’abri, mais fragile carapace dont les militants ont fait un instrument de combat.
Au Sémaphore, le cinéma d’art et d’essai fétiche des Nîmois, le film La Promesse de Rayane Mcirdi – épaulé par le réalisateur Virgil Vernier – relate les souvenirs d’un voyage estival en Algérie de sa mère et de ses tantes alors adolescentes, road-trip tragicomique entre une cité d’Asnières et le port de Marseille, et néanmoins d’une étrange légèreté. « Papa, c’est où l’Algérie ? », demande le garçon. Réponse du père : « L’Algérie, c’est quelque part derrière la mer, après le soleil… » Même saga de la transmission au Carré d’Art, où Zineb Sedira et Alassan Diawara apportent quelques réponses avec, respectivement, la vidéo Mother Tongue – dans laquelle l’artiste, elle-même, joue les go-between entre sa fille installée à Londres et parlant anglais et sa mère ne parlant qu’arabe –, et les photographies de Diawara montrant des joueurs afghans de cricket en passe de créer un club local.
La transmission, enfin, peut être posthume. Ainsi en est-il, au musée des Beaux-Arts, de cette pionnière de la peinture algérienne, Baya (1931-1998), dont les « femmes-créatures », moins oniriques qu’il n’y paraît, font face aux « femmes-combattantes » de Neïla Czermak Ichti, 28 ans. Chez toutes deux, on retrouve une inclination envers la vibration des couleurs – gouache chez l’une, acrylique chez l’autre –, la musique ou les « compagnons-chimères ». Au musée du Vieux Nîmes où elle a été en résidence un mois, Jeanne Vicerial, elle, a choisi Pierre Soulages, disparu en 2022 à Nîmes, pour construire un dialogue de haut vol autour d’une interrogation : « Comment une matière peut-elle raconter une histoire, un geste répétitif offrir des possibilités infinies ? ». Les fils acryliques de ses créations textiles le disputent aux sillons du pinceau de l’auteur des Outrenoirs. Dans une salle sombre, un « gisant », tel un cocon anthracite, côtoie une toile de Soulages. Bizarrement, l’installation est aussi sépulcrale que lumineuse, pesante que fragile.
Pour son week-end de clôture les 21, 22 et 23 juin, la « Contemporaine de Nîmes » a prévu un vaste programme d’événements et de rencontre, pour placer cette fin de semaine et d'exposition sous le prisme de la fête.
« La Contemporaine de Nîmes », jusqu’au 23 juin 2024, divers lieux, 30000 Nîmes