C’est dans un contexte mondial pour le moins compliqué que s’est ouvert à Bâle, ce mardi 11 juin au matin, la plus importante foire d’art moderne et contemporain du monde. Alors que la Bourse de Paris avait sévèrement dévissé lundi après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, les collectionneurs et autres visiteurs français croisés dans les allées d’Art Basel avaient le moral en berne face au bond de l’extrême droite aux élections européennes. Le reste de l’actualité mondiale n’est guère plus réjouissant. Ici, dans la quiétude de la Suisse, les affaires ont toutefois démarré de façon positive tant chez les galeristes français qu’internationaux, mais sans frénésie, dans un rythme assez lent constaté par de nombreux exposants.
D’aucuns avaient aussi largement prévendu les œuvres, en particulier du côté des méga galeries. « Nous n’avions pas d’attentes particulières », nous ont confié plusieurs grandes enseignes. Traduction : pas d’optimisme excessif dans le contexte mondial actuel. « Ce premier jour est encore meilleur que l’an dernier en termes de ventes, confie toutefois Iwan Wirth, coprésident de Hauser & Wirth. Nous avons montré aujourd’hui les grands noms classiques, et demain, nous aurons un accrochage plus contemporain. Mais n’oublions pas que le « Day 2 » reste d’un niveau aussi élevé que le « Day 1 » n’importe où ailleurs ». L’enseigne a vendu de nombreuses œuvres, dont une d’Arshile Gorky pour 16 millions de dollars, une autre de Blinky Palermo autour de 4 millions de dollars et plusieurs pièces au-dessus de 1 million de dollars par Cindy Sherman, Henry Taylor…ainsi que d'autres notamment de Louise Bourgeois.
Du côté de la galerie Pace, trois éditions (à 800 000 euros) ont été vendues (sur 6 + 1 é.a.) d’une installation de Jean Dubuffet, des bancs en polyuréthane formant un salon, réédition d’une création de 1970 que l’enseigne américaine vend en partenariat avec la galerie Lelong & Co et avec la Fondation Dubuffet. « Si l’ambiance est un peu plus calme, les collectionneurs sérieux sont là et achètent », précise Amelia Redgrift sur le stand. Entre autres ventes, une peinture d’Agnes Martin est partie pour une somme à six chiffres, ainsi qu’un Rauschenberg. Par ailleurs, l’Institut Inhotim, au Brésil, a acquis l’œuvre de Torkwase Dyson exposée dans le secteur Unlimited.
« La foire a démarré de façon bien meilleure que ce qu’on attendait », confie Thaddaeus Ropac sur le stand de la galerie éponyme. Prévendues ou pas, la galerie s’est séparée de nombreuses pièces, dont sept fois d’une sculpture en bois peint en jaune de Georg Baselitz en édition à 2 millions d’euros pièces et d’un Rauschenberg à 3,8 millions d’euros.
Chez Gagosian, une œuvre murale de Jordan Wolfson attend preneur à 275 000 dollars. L’enseigne proposera à l’automne prochain une exposition de l’artiste rue de Castiglione à Paris. David Zwirner expose quant à lui sur son stand l’une des œuvres les plus chères de la foire, une peinture de Joan Mitchell à 20 millions de dollars.
Chez une partie des galeries françaises aussi, les ventes ont plutôt bien démarré. Kamel Mennour se réjouit d’avoir cédé plusieurs néons de Claire Fontaine vus à la Biennale de Venise et accrochés dans l’allée, déclinant dans toutes les langues « Les étrangers partout ». L’enseigne a vendu deux des trois sculptures d’Ugo Rondinone, deux peintures de Lee Ufan dont une à 1,5 million d’euros, une œuvre d’Ed Ruscha, deux d’Alicja Kwade, dont une installation monumentale trône à Unlimited… Mais également deux exquises peintures d’Huguette Caland et affichées pour la bagatelle de 250 000 euros. « Nous avons reçu 50 demandes depuis que nous avons annoncé, cette semaine, que nous représentons désormais son estate », explique Kamel Mennour, qui note par ailleurs avoir « beaucoup prévendu en général cette année, contrairement à l’édition 2023 de la foire ».
Templon s’est délesté de plusieurs œuvres dont une peinture d’Alioune Diagne qui représente le Sénégal à la Biennale de Venise ainsi que d’une œuvre de Chiharu Shiota, qui a créé une œuvre monumentale pour Unlimited. Le premier est un achat d’un Français de Suisse et l’autre un achat suisse. Autre vente : celle d’une sculpture tissée de Jeanne Vicerial, qui bénéficie d’une riche actualité, notamment actuellement à la Contemporaine de Nîmes. La galerie montre aussi une sculpture de Hans Op de Beeck, « teasing » avant l’exposition qu’elle consacrera au Belge en novembre prochain dans son espace new-yorkais. Elle a vu passer des collectionneurs européens, japonais mais également des Suédois qui préparent l’ouverture de leur nouvel espace d’exposition dans ce royaume scandinave. Enfin, Jocelyn Wolff s’est notamment séparé de 16 œuvres de Miriam Cahn. Quant à Perrotin, il étend cette année la surface de son stand – un signe de confiance dans le marché ? – en occupant une partie des coursives inoccupées du 4e étage, avec des œuvres allant d’Ivan Argote à Jean-Michel Othoniel.
Alors qu’Art Basel Paris monte en puissance et revenait dans nombre de conversations, l’érosion des visiteurs américains est encore plus marquée cette année même si, prévient un exposant, « quand ils ne sont pas là en personne, ils sont souvent représentés ». L’on croisait en effet nombre d’advisors américains. Les Suisses et les Européens étaient bien présents à l’ouverture, de Patrizia Sandretto Re Rebaudengo à Maja Hoffmann (LUMA).
Reste à savoir si les Asiatiques, et pas seulement les Chinois, sont vraiment au rendez-vous cette année, au-delà de ceux aperçus ici et là dans les allées. Outre leur forte présence à Unlimited, certains nouveaux exposants mettent en avant des artistes de cette région du globe, telle la Berlinoise Nome qui montre sur son stand une seule œuvre du Philippin Cian Dayrit, une belle tapisserie évoquant les conséquences du colonialisme, à 95 000 euros. L’artiste, actuellement à l’affiche du Blaffer Art Museum à Houston, aux États-Unis, avec une exposition monographique, est présent dans plusieurs collections européennes privées ou publiques, du Reina Sofia à Madrid à celle d’Alain Servais à Bruxelles. Autre nouvel exposant, la Coréenne Wooson présente deux installations de sa compatriote Omyo Cho autour du « transfert de la mémoire ». Le conseiller français et bon connaisseur de l’Asie Didier Chaillou n’a pas été frappé par une fréquentation asiatique plus importante cette année. En outre, achètent-ils activement ou plutôt, comme cela semble le cas, encore timidement ? Chez Hauser & Wirth, seul un « musée asiatique » est mentionné parmi les acheteurs actifs ce jour d’ouverture, certes pour toute l’installation de bancs de Jenny Holzer montrée à Unlimited. « Art Basel, ce n’est pas les enchères [dont les Asiatiques sont friands, ndlr], mais une foire, un lieu destiné à nouer des relations avec les galeristes basées sur le suivi et la confiance », observe Iwan Wirth. Tout un travail reste donc à faire pour captiver les Asiatiques, et capter les prometteuses nouvelles générations.
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Art Basel, 13-16 juin 2024, Messe Basel, Messeplatz 10, 4058 Bâle, Suisse.