En plein jour, c’est à peine si on la remarque. Il faut attendre la nuit pour que l’installation se révèle et irradie l’espace alentour. L’œuvre (untitled [in memory of Urs Graf]) est constituée de quatre longs néons verticaux rose, jaune, vert et bleu installés dans les encoignures de la cour du Kunstmuseum de Bâle. Elle porte la signature de Dan Flavin (1933-1996), l’artiste indissociable de ces tubes fluorescents industriels au sein de l’art minimal. L’installation, créée en 1972, a été mise en place trois ans plus tard. Par ce titre, l’Américain rend hommage au peintre, graveur, orfèvre et mercenaire Urs Graf (né à Soleure en 1485 et disparu sans laisser de traces en 1529), dont l’institution bâloise conserve un fonds important. Une référence étonnante de la part de la figure de proue d’un mouvement qui réfutait tout apparentage sentimental. Mais peut-être pas si surprenante, puisque Dan Flavin se défendait d’appartenir à cet art minimal dont il fut, malgré lui, l’un des représentants emblématiques.
Hommage
La dédicace – à d’autres artistes (Donald Judd, Sol LeWitt, Jasper Johns, Barnett Newman), à sa femme Sonja, à ses amis ou à des personnalités politiques – est justement le sujet de l’exposition bâloise. La première salle présente d’emblée the diagonal of May 25, 1963, un néon jaune fixé à 45 degrés sur le mur et sous-titré « to Constantin Brancusi ». Il s’agit de la toute première sculpture lumineuse de Dan Flavin, sa « diagonale dorée », comme il l’appelait. Étudiant la peinture et le dessin à la Columbia University, à New York, il dédiera une autre version de la pièce, cette fois un néon blanc, à Robert Rosenblum, professeur d’histoire de l’art qui y fit des conférences.
Ce sont trente-cinq sculptures lumineuses réparties dans neuf salles, auxquelles s’ajoute une vingtaine de dessins préparatoires et de peintures de jeunesse, un volet méconnu dans le corpus de l’artiste américain. C’est aussi le juste nombre pour apprécier un travail dont chaque occurrence réclame une certaine amplitude. L’art minimal faisait de la présence du spectateur face à l’œuvre un impératif. Dans le cas de Dan Flavin, elle est indispensable. Travaillant l’espace, que la lumière de ses néons occupent et révèlent, l’artiste ne produit jamais deux fois le même effet. Ses pièces changent selon l’endroit où elles sont exposées, notamment dans les coins, disposition qu’il affectionne. Quatre tubes rose, jaune, bleu et vert habillent ainsi un mur du musée d’un subtil sfumato joyeux et fauve. Ces images gazeuses rejaillissent sur le visiteur éclaboussé de leurs couleurs. L’ensemble porte la dédicace « to Henri Matisse », ce que l’on aurait presque pu deviner. La très spectaculaire installation untitled (to you, Heiner, with admiration and affection), réalisée en 1973 – en hommage au galeriste munichois Heiner Friedrich, soutien indéfectible de Dan Flavin –, produit un effet similaire : une barrière d’au moins 350 néons verts coupant la salle en deux et dont les reflets sur le sol transforment complètement l’architecture et ceux qui y circulent. Sans oublier l’œuvre phare du catalogue de l’Américain, « monument » 7 for V. Tatlin (1964), qui a fait le voyage depuis Munich, un hommage éblouissant au constructiviste russe. Inutile de chercher une dimension symbolique à cette œuvre dont la puissance se révèle d’emblée.
Engagement
Dan Flavin a toujours renvoyé la critique dans les cordes lorsqu’elle lui collait l’étiquette de « mystique ». « La lumière électrique n’est qu’un instrument parmi d’autres, répondait-il. Je n’ai aucun désir d’inventer des fantasmes médiumniques ou sociologiques à ce sujet ou au-delà. Je fais ce que je peux quand je peux avec tout ce que j’ai, où que je sois.» Ce qui ne l’empêcha pas de s’engager : contre la guerre du Vietnam avec monument 4 for those who have been killed in ambush (to P.K. who reminded me about death) (1966) et ses tubes fluorescents rouges qui dessinent une sorte de pointe de flèche s’enfonçant dans le coin d’une des salles ; en soutien au candidat démocrate qui perdit face à Richard Nixon lors de l’élection américaine de 1972 avec untitled (to a man, George McGovern) 2 (1972) ; ou encore avec untitled (to the « last war», the final one) 4 (1966-1976), constitué d’un tube vert et d’un autre rouge, comme une barrière aux futurs élans de la guerre.
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« Dan Flavin. Dédicaces en lumière », 2 mars - 18 août 2024, Kunstmuseum Neubau, St. Alban-Graben 20, 4051 Bâle, Suisse.