Caroline Achaintre : The Seeker
Les grandes compositions en laine tuftée de Caroline Achaintre tiennent de la sculpture et de la peinture. Fruits d’une lente et méticuleuse construction, elles dégagent une impression de spontanéité, et semblent travaillées en pleine laine comme on dirait en pleine pâte. L’artiste parle de ses œuvres comme de personnages, dont les yeux seraient marqués par deux trous.
The seeker, c’est en anglais le chercheur ou la chercheuse. C’est le titre d’une œuvre et celui de l’exposition mais cela peut convenir aussi à nous, spectateurs en quête d’images. Dans The Seeker, la tapisserie, on croit reconnaître la forme générale d’un volatile et au centre des oisillons alignés par paires et bec contre bec, comme la rencontre d’une représentation naïve et d’une force monstrueuse. On peut aussi oublier cette matière d’images pour apprécier l’effet d’une masse chargée d’énergie, aux teintes chaudes. Les trouées, ces ouvertures sur l’espace, nous rappellent l’art informel.
Les œuvres en céramique fine alignées sur les murs offrent des représentations de figures animales, de masses organiques, de masques ou de symboles avec de délicats effets de texture. Ces pièces fascinent et l’on aimerait les rattacher à un récit ou à quelque action rituelle. Le fin mot pourrait appartenir à ce large anneau strié et nervuré comme une pièce de bois. C’est la bouche ouverte d’un gros poisson, une vision du silence. Sa discrète présence est déterminante dans la cérémonie de l’exposition.
Du 28 mai au 20 juillet 2024, Art : Concept, 4, passage Sainte-Avoye, 75003 Paris
Sanya Kantarovsky : Teachers and Students
Pour le thème de ce nouvel ensemble de tableaux, Sanya Kantarovsky dit s’être inspiré de Professeurs et moutards, une série de lithographies d’Honoré Daumier. Comme son illustre devancier, Kantarovsky aime croiser l’illustration, voire la caricature, et la peinture, mais la comparaison s’arrête là. Pour résumer la vision qu’a l’artiste des rapports professeur-élève, on pourrait reprendre un titre de Michel Foucault : surveiller et punir.
La surveillance porte sur le sommeil des élèves. Dans une vue plongeante inspirée par le cinéma, on voit deux rangées de lits dans lesquels dorment de jeunes adolescents. Des pieds ou un buste s’échappent des couvertures. Entre les deux rangées se tient l’adulte qui projette son ombre sur l’un des lits.
La punition, on la reconnaît dans les fesses marquées à vif d’un adolescent nu qui nous tourne le dos, ou dans la posture inconfortable d’un autre adolescent nu perché lui sur un tabouret. Chacune de ces deux peines porte sa part d’exemplarité et touche au travail de la forme : la tache, la pose.
Dans deux tableaux de petit formats, Sanya Kantarovsky se fait plus mordant, avec notamment un gamin auquel le bras d’un adulte lui fait comme un cache-col. L’enfant est ostensiblement sous protection.
Quand on arrive dans la dernière pièce de l’appartement-galerie, nous sommes gratifiés d’un tableau de fleurs dans le style d’Odilon Redon, ouvertement teinté d’érotisme. Serait-ce là l’éveil artistique tel qu’on le favorise dans les écoles ? Plutôt que des variations sur un thème, cette série d’œuvres nous fait nous aventurer dans un territoire de fiction qui n’est pas sans évoquer Witold Gombrowicz.
Du 24 mai au 29 juin 2024, Modern Art, 3 place de l’Alma, 75008 Paris. Sur rendez-vous : 06 71 61 26 62
Clemens von Wedemeyer : Anti-Synergy
Les deux nouveaux films de Clemens von Wedemeyer offrent deux types d’expérimentation sur des sujets distincts mais étroitement reliés. Surface Composition est fait d’une succession de séquences courtes (39 à en croire la liste des localisations inscrite sur un mur) tournées en Californie, depuis San Francisco jusqu’à la frontière mexicaine. On y voit principalement des bâtiments des grandes entreprises de la Silicon Valley, des containers, des carrières d’extraction, mais aussi des musées ou des lieux de divertissement et enfin des paysages et quelques animaux. On comprend que les grands acteurs de notre société connectée s’abritent derrière des barrières bien physiques. Au-delà de cette morale, le film qui se tient sur le fil entre un repérage informatif et une écriture documentaire, se donne comme une réflexion sur la possibilité d’un regard au sein d’un monde hypercontrôlé et connecté.
Avec Social Geometry, on bascule dans une tout autre forme d’expérimentation. Il s’agit d’une animation de points blancs et de lignes sur fond noir qui expose la façon dont se créent les relations amicales, se construit la société, les systèmes de classe ; tous les réseaux enfin. À mesure que le discours avance, l’écran se charge de points et de traits jusqu’à constituer une construction serrée et impénétrable qui plonge dans les profondeurs. Projeté sur un écran translucide au milieu d’une salle noire, le film, portée par la voix magnétique d’Anne Clark, envoie dans l’espace points et lignes. En même temps que sont exposées les limites de la modélisation, on vit ce démontage critique comme une séance d’expanded cinema.
Du 26 mai au 20 juillet 2024, Galerie Jocelyn Wolff, 43, rue de la Commune de Paris, 93230 Romainville
Rob Pruitt, Lizzi Bougatsos : Help Me Lift You Up
Rob Pruitt et Lizzi Bougatsos sont amis depuis des temps immémoriaux. Ensemble, ils ont conçu cette exposition dans l’esprit d’une jam ou d’une improvisation libre. Les deux ont pris possession totale de l’espace avec une envie manifeste de se surprendre l’un l’autre avant de surprendre le visiteur. Rob Pruitt, la star, se taille un peu la part du lion. Un très grand mur est recouvert de peintures de ses fameux Pandas qui composent ici une véritable foule. Sur le mur d’en face figurent trois tableaux d’images de pandas pixélisées et pailletées. Le même Pruitt a également disséminé des chats, en bois ou en marbre, réfugiés dans des sacs en papier de magasins, et qui ne nous montrent que leur arrière-train.
Lizzi Bougatsos construit ses narrations avec des objets, des photos ou des livres qu’elle habille le plus souvent de mylar. Elle montre un grand tableau monochrome posé sur deux oiseaux en céramique et éclairé par des projecteurs de studio, et place devant le grand livre de Klaus Theweleit. Broken Birds est le titre.
Rob et Lizza se rejoignent pour donner à leur exposition un tour festif : elle en diffusant sa playlist sur trois blasters portés par des bouteilles de champagne vides, lui en dressant une table avec une nappe peinte et des hot-dogs géants en bois. Elle a appuyé contre sa table à lui un balai avec un gant de cuir au bout du manche pour appuyer le propos.
Ce ne sont pas moins de cinquante pièces déclarées qui nous sont présentées dans un esprit punk. Une façon pour l’un et l’autre artiste, chargés d’ans et d’honneurs, de rejouer la partie, contre l’ennui et le conformisme.
Du 24 mai au 13 juillet 2024, Air de Paris, 43, rue de la Commune de Paris, 93230 Romainville
Commissaire : Baptiste Pinteaux