Nuit Blanche est d’abord un événement parisien auquel participent une trentaine de communes de la Métropole du Grand Paris, mais aussi la ville de Rouen. Mais l’événement se tient également au-delà des océans, dans des départements et territoires français comme la Réunion, Mayotte, la Martinique et la Guadeloupe. En revanche, Nouméa, en raison des événements en cours en Nouvelle-Calédonie, a dû annuler sa participation à la manifestation. Cette 23e édition, qui se déroule à partir de 18 heures le 1er juin 2024, met en effet à l’honneur les territoires « ultramarins ». Nuit Blanche, placée cette année sous la direction artistique de Claire Tancons, « met l’emphase sur une problématique ultramarine, confie-t-elle. Puisque précisément ma direction artistique questionne l’idée même de ce que l’on appelle les outre-mer et les territoires et pays ultramarins. Donc il ne s’agit en aucun cas d’une approche culturaliste, ou d’un festival des outre-mer ».
Le propos de cette commissaire et critique d’art, qui a travaillé aussi bien dans le cadre de la Biennale de la Nouvelle Orléans, Prospect New Orleans (2008-2009), de la Biennale de Gwangju, sous la direction artistique de Okwui Enwezor (2008), des Biennales du Cap (CAPE 09, 2009), du Bénin (2012), de Göteborg (2013), ou plus récemment de la Biennale de Sharjah (2019), s’efforce ainsi d’être inclusif. « Ce que j’ai opéré ici, au-delà des commandes que j’ai passées à des artistes, de certaines que j’ai initiées, ce sont des déplacements, qui consistent à décentrer la question ultramarine, décentrer la question de la position de la France hexagonale dans le monde, au vu de la diversité de ces territoires et pays dans l’océan Pacifique, Atlantique et Indien, et surtout nous permettre de mesurer à quel point cette histoire nous concerne toutes et tous, et la relier plus particulièrement à l’histoire de Paris ». Et de poursuivre : « les œuvres des artistes portent en elles, pour nombreuses d’entre elles, la charge de la colonialité telle qu’on peut la vivre depuis la France, hexagonale ou polygonale ». Cette notion d’une France polygonale est centrale dans Nuit Blanche cette année. « Nous faisons tous partie de ce récit », résume-t-elle.
Parmi les événements organisés, figure la performance musicale, chorégraphique et théâtrale proposée par l’artiste Abdelwaheb Sefsaf au square Louise Michel (18e arrondissement), « renouant les destins croisés des révoltés communards, kabyles et kanaks de la fin du XIXe siècle dans leur exil calédonien » ; ou encore la présentation de l’artiste Raphaël Barontini, qui procède « d’une autre forme de déplacement ». Sa performance processionnelle en trois mouvements a lieu sur l’Île aux Cygnes située sur la Seine entre la Maison de la radio et le quartier de Beaugrenelle, « ce qui apporte une dimension insulaire et processionnelle », selon Claire Tancons. « Son esthétique est une esthétique afro-diasporique et de la mise en mouvement du collectif que Nuit Blanche lui donne l’occasion de montrer ».
Le projet Luciole, d’Astrid Bayiha, d’origine algérienne, avec Delie Andjembe et Stéphanie Coudert, est « l’un des projets centraux de Nuit Blanche, nous confie encore Claire Tancons. Il permet d’aborder la problématique ultramarine depuis la perspective de l’auteur Patrick Chamoiseau, qui en est éminemment critique, même si dans le cadre de cette œuvre, ce n’est pas tant le système outre-mer qui est mis en scène mais plutôt la question de l’accueil de l’autre, autour de figures de frères migrants. L’idée est de penser le monde à partir de cette France qui ne réside pas dans l’Hexagone, à aborder la mondialisation et la mondialité. Ces intellectuels ont une vision mondiale de notre condition humaine. Ce projet permet ici de désenclaver l’image que l’on se fait d’une histoire qui se déroule ailleurs, qui ne serait pas la nôtre mais qui a fécondé notre présent ».
Au total, ce sont 126 projets artistiques qui seront proposés, dont 14 dans le cadre de la carte blanche donnée à Claire Tancons. Parmi les institutions parisiennes participant à la Nuit Blanche 2024 figurent le Centre Pompidou, la Gaîté Lyrique, la Fondation Cartier-Bresson, le musée du quai Branly-Jacques Chirac, le musée Guimet ou encore la Fondation EDF, tout comme la Bourse de Commerce - Pinault Collection. La danseuse et chorégraphe Raynah, figure de proue du mouvement « dancehall » des Antilles françaises, y exécutera un mouvement de danse en boucle, le headtop, allégorie du processus de deuil. Une voix intérieure, incarnée par les artistes et musiciens Bamao Yendé et Le Diouck, « nous plongera dans ses pensées et abordera les thèmes de l’identité, de la mort et de la nature, avec humour et nostalgie ».
« On a pu s’inquiéter que cette Nuit Blanche soit très conceptuelle et perde en dimension festive. Or, c’est faux, elle sera tout aussi monumentale et spectaculaire que par le passé. Elle aura aussi énormément de science et de conscience », conclut Claire Tancons.