Depuis plusieurs décennies, la France a vu s’organiser de nombreux « son et lumière » dans des sites emblématiques du patrimoine, parfois avec l’assistance de la population locale appelée à venir faire de la figuration bénévolement. L’un des plus connus et des plus anciens est la Cinéscénie organisée depuis 1978 par l’Association du Puy du Fou, en Vendée. Chefs-d’œuvre de l’art gothique, les cathédrales ont rapidement fait elles aussi l’objet de ces spectacles, notamment celles d’Amiens, de Reims ou de Strasbourg. En 2004, c’est celle de Rouen qui inspirait un premier spectacle, elle qui fut une importante source d’inspiration pour le peintre impressionniste Claude Monet, qui avait d’ailleurs installé son atelier dans une vaste salle du premier étage d’une maison faisant face au monument. Dans cette illumination conçue par la société Skertzo, les projections d’images d’œuvres de l’artiste venaient se superposer à la façade de la cathédrale. Ce spectacle n’avait pas toujours suscité l’enthousiasme, notamment des historiens de l’art. Le grand spécialiste de l’art du Moyen Âge Roland Recht, qui fut titulaire de la chaire d’Histoire de l’art européen médiéval et moderne au Collège de France entre 2001 et 2012, écrivit ainsi en 2004 : « Mais au palmarès du patrimoine fardé, les cathédrales d’Amiens et de Strasbourg sont largement battues par celle de Rouen. Durant tout l’été, on a pu voir projetées sur la façade de ce monument les peintures de la série que lui a consacrée Claude Monet entre 1892 et 1893, mais aussi ces œuvres impressionnistes réinterprétées par Roy Lichtenstein dans les années 1960. En bref : à la place de l’architecture, des diapositives, le monument d’art faisant office d’écran de projection ». Cependant, au fil des années, ces spectacles nocturnes ont continué à être organisés pour un public fidèle.
S’inscrivant dans le cadre du Festival Normandie impressionniste, la proposition de cette année dépasse de très loin les offres passées avec l’invitation faite à l’un des plus importants metteurs en scène contemporain, Bob Wilson. L’Américain a conçu un spectacle inédit né de sa rencontre avec le monument [du 24 mai au 28 septembre 2024]. Intitulé Star and Stone, a kind of love… some say, il convoque ici la poésie de l’Afro-américaine Maya Angelou, dont les mots sont portés en anglais – et de façon inédite – par l’homme de théâtre et en français par la comédienne Isabelle Huppert. La diction de cette dernière, très rapide, pourra étonner de prime abord mais elle incarne bien l’urgence du texte. Tour à tour, la cathédrale de Rouen devient océan ou brasier, sous la musique envoûtante de Philipp Glass. La dernière partie du spectacle est un moment de grâce, lorsque les élèves du collège Fontanelle et des lycées Corneille et Flaubert de Rouen se font les interprètes de ces poèmes de leurs voix juvéniles porteuses d’espérances. Un spectacle d’étoiles et de pierres.