Matsutani
Avec des œuvres récentes et quelques pièces historiques, cette exposition fait voir l’œuvre de Takesada Matsutani dans sa richesse et sa diversité. Le travail joue avec le hasard, il a un côté Gutaï lorsque l’artiste répand sur une surface de la colle vinylique qu’il manipule de manière à former des bulles ou des grumeaux. Il présente d’un autre côté un aspect méditatif, généralement associé au zen, quand il noircit de grandes surfaces de papier à la mine de graphite ou dans des tableaux monochromes ou bicolores qui mêlent différentes techniques.
Cette division n’est qu’à demi juste. En effet, les toiles couvertes de bulles blanches ont aussi un caractère méditatif, et les œuvres méditatives comprennent aussi une part de hasard et de jeu. Le papier ou la toile est toujours chez Matsutani espace d’expérimentation selon des procédures et des gestes simples.
Dans Suspend (2024), une grosse poche de colle acrylique blanche semble tenir à la toile par un morceau de corde relié à une pièce de bois. C’est un objet spécifique qui porte aussi l’idée d’un tableau non manifesté.
Dans la même salle, une des trois portes-fenêtres cintrées a été couverte d’un polyptyque de toiles sur châssis correspondant aux divisions du cadre, auxquelles s’ajoute un cercle en deux parties en son centre. Celle de gauche est de toile blanche, celle de droite est légèrement teintée par une ultrafine couche de colle neutre et on remarque en bas un très mince dépôt beige. Pour que s’affirme pleinement la vocation de cette œuvre à filtrer la lumière, il aura fallu que la matière-couleur marque symboliquement son retrait.
Du 6 avril au 18 mai 2024, Hauser & Wirth, 26 bis, rue François Ier, 75008 Paris
Kenrick McFarlane : The Junkanoo meets the Ocean
Durant la période de l’esclavage, le Junkanoo était un festival jamaïcain organisé l’unique jour de loisir accordé aux esclaves. Il est pour Kenrick McFarlane un puissant symbole de liberté.
Pour sa première exposition en Europe, ce peintre de Los Angeles présente une large galerie de portraits, essentiellement ceux de héros noirs d’aujourd’hui, musiciens, artistes ou sportifs. À travers eux, la reconnaissance et le succès de tous ces performeurs, il questionne aussi le problème interracial dans la culture. En renouant avec le grand genre du portrait, il place ces figures d’aujourd’hui dans une autre temporalité. Il constitue cette communauté en une société dont il serait le témoin privilégié. Le rappeur se révèle figure romantique ou monarque tourmenté. Le salut à un artiste contemporain (Theaster reading) prend la forme d’une image brouillée qui signale que le lien est d’une autre nature. Les scènes de salle de bains marquent le travail d’introspection.
À côté de ces célébrités, Kenrick McFarlane a joint quelques tableaux qui élargissent le champ de réflexion et livrent quelques indices sur lui-même. Un grand nu nommé Venus ressemble à une revendication et à un jeu avec les conventions, tandis que le portrait de la voyante Baba Vanga (qui aurait prophétisé l’élection d’Obama), paraît une adresse à ceux qui ont noté chez le peintre l’influence de Bacon. Une unique nature morte, une botte d’asperges posée à la verticale, vient là comme un bouquet lancé à Manet.
Du 15 mars au 11 mai 2024, Galerie Peter Kilchmann, 11-13 rue des Arquebusiers, 75003 Paris
Laura Henno : Grande Terre
Depuis 2013, Laura Henno a engagé un travail photographique et filmique dans l’archipel des Comores et à Mayotte avec les passeurs et les clandestins. Ceux qui ont vu Koropa (2016), court-métrage consacré à l’apprentissage d’un très jeune passeur, n’ont pu l’oublier. Elle présente aujourd’hui un ensemble de photographies et un film réalisés dans les mêmes lieux. Les photos sont des portraits individuels ou de groupe d’une population marginale qu’elle a appris à connaître, et qui vit dans les forêts et sur les rivages. Ces jeunes hommes sont accompagnés de chiens ou de meutes de chiens. On reconnaît un parti pris de rigueur et de simplicité dans le choix des cadrages, un refus de l’esthétisme comme du voyeurisme (les rares fois où s’exprime la violence de l’animal, c’est l’étroite relation qui le lie à l’humain qui ressort avant tout). On ne saurait dire ce qu’est la juste distance dans l’art documentaire mais on ne doute pas qu’elle s’y trouve ici. La photo d’un très jeune homme en rangers, avec masque et lunettes de protection juché sur un minuscule rocher au bord de l’eau, a tout d’une allégorie naturelle.
Le court film Djo (2019) est le cœur de l’exposition. Il donne la parole à Smogi qui raconte sa découverte du chien Djo et le lien indéfectible noué avec lui. Son récit est teinté d’onirisme et de magie. À travers l’expérience singulière de Smogi, une fenêtre s’entrouvre sur les vies de ce groupe d’hommes auquel Laura Henno donne une visibilité.
Du 6 avril au 1er juin 2024, Galerie Nathalie Obadia, 3, rue du Cloître Saint-Merri, 75004 Paris
Nora Kapfer : « Pretty Serious Stuff »
Nora Kapfer a choisi pour cette série de tableaux un répertoire restreint de motifs, des fleurs en silhouette (des pensées et des alliums), mais aussi des damiers et des amibes. En cinq tableaux et trois motifs, l’artiste conduit un vrai propos sur la peinture, construit une dialectique du décoratif (voire du kitsch) et de l’abstraction dans sa veine constructive comme dans son orientation zoomorphique.
Le contour de deux pensées agrandies enferme à l’intérieur d’une bordure orangée de fines taches fuchsia dans une manière impressionniste. La sensation pure et le sentiment d’immensité semblent emprisonnés à l’intérieur d’un joli qui rassure. Kapfer aime aussi créer des effets de matière et des rapprochements inattendus comme celui de motifs de fleurs en papier japonais appliqués sur une surface de bitume.
Deux tableaux fonctionnent en miroir. L’un, intitulé Borrowed Motive, présente deux amibes symétriques. Celle de gauche est noire et grise devant un damier noir et blanc, l’autre est uniformément grise et placée devant un damier plus large où alternent carrés blancs, rouges ou jaunes et des lignes vues en transparence. Les deux figures semblent se dissoudre ou se perdre en nuées. Des grilles ont été grattées sur leur surface et la partie droite explose en une débauche décorative avec de beaux effets de transparence. Dans Küriss, le même motif se trouve isolé sur la gauche, et disparaît presque à droite sous un motif en un damier noir et jaune. C’est un tableau presque dramatique, de feu et de brûlure. Dans les deux cas, les motifs, les principes, explosent ou s’effacent devant une recherche aventureuse de lumière et d’espace.
Du 13 avril au 18 mai 2024, Galerie Édouard Montassut, 61 rue du Faubourg Poissonnière, 75009 Paris