Le Brésil est de retour ! Sevrée de projets d’envergure internationale pendant l’ère noire bolsonariste, cette terre d’avenir bouillonne à nouveau. La puissance des tropiques accueillera le G20 à Rio de Janeiro en novembre 2024 et la conférence sur le climat COP30 à Belém en Amazonie en novembre 2025. Elle sera également célébrée avec enthousiasme en 2025 lors d’une saison croisée France-Brésil. Profitons de cette effervescence et du réchauffement des relations diplomatiques entre la France et le Brésil pour mieux décrypter ce pays-continent à travers cette nouvelle chronique brésilienne.
Le 1er janvier 2023, un Lula fraîchement réélu président monte la rampe du Planalto à Brasilia pour célébrer son investiture. Une semaine plus tard, c’est une horde de partisans bolsonaristes déchaînés qui foulent cette même rampe et saccagent tout sur leur passage. Les édifices emblématiques de la place des Trois-Pouvoirs, œuvres classées à l’Unesco en 1987 de l’architecte Oscar Niemeyer, symbole de la démocratie et du génie moderniste brésilien, volent en éclat. Le Congrès, et ses coupoles de béton ; le cube de verre du Tribunal suprême fédéral (STF) ; et le parallélépipède de marbre du Planalto, lieu de travail du chef de l’État...
Le choc psychologique est immense, la démocratie fragilisée et les dégâts matériels considérables : 75 % des intérieurs sont détruits, 313 chefs-d’œuvre sont souillés et 106 pièces ont disparu. Le coût des dommages s’élève à 4,5 millions d’euros.
Le chantier de relance de la culture, Lula l’avait déjà initié avant les attaques. La nomination de l’icône de la samba et de l’afro-pop Margareth Menezes au poste de ministre de la Culture au lendemain des élections mettait enfin un terme aux quatre ans d’apocalypse culturelle sous le mandat chahuté du président d’extrême droite Jair Bolsonaro. Avec l’aide de l’Iphan (Institut national du patrimoine artistique et historique), les équipes de restaurateurs s’activent sur place dans leurs ateliers en sous-sol pour sauver le patrimoine brésilien. Leur arrivent en masse des œuvres taguées, cabossées, lacérées, inondées ou en partie brûlées des maîtres du modernisme brésiliens – Oscar Niemeyer, Frans Krajcberg, Sergio Rodrigues, Jorge Zalszupin, Athos Bulcão, Marianne Peretti, Alfredo Ceschiatti ou encore Emiliano Di Cavalcanti. Des vases en miettes de l’époque coloniale portugaise jonchent les étagères de l’entrepôt. Quatre mois plus tard, 80 % des œuvres vandalisées sont traitées, nettoyées et restaurées. Recoller les morceaux, et vite : tout un symbole pour cette « démocratie inébranlable », selon la formule de Lula.
Violemment arrachée du mur, déchirée à de multiples endroits et souillée par de l’urine, la tapisserie en coton de Roberto Burle Marx datant de 1973 est l’œuvre la plus compliquée à restaurer. Large de 5 mètres, estimée par l’Institut Burle Marx à 800 000 euros, elle est partie à São Paulo pour y être traitée. Dix mois et 46 000 euros plus tard, elle a pu être raccrochée avec fierté dans le « salon noir » du Congrès lors de la cérémonie d’anniversaire présidée par Lula le 8 janvier dernier.
Certains pays étrangers ont proposé leur aide. C’est le cas de la Suisse qui prend généreusement en charge la remise en état d’une pendule royale du XVIIe siècle conçue par André-Charles Boulle et fabriquée par Balthazar Martinot, horloger du roi de France Louis XIV. Retrouvée sur le sol du troisième étage du palais présidentiel avec un trou béant à la place du cadran, elle ne pouvait être réparée sur place faute de savoir-faire. Cadeau de la Cour du Roi-Soleil à la couronne portugaise, apporté par le Roi Joao VI au Brésil en 1808 quand il a fui Lisbonne à l’approche des troupes napoléoniennes, ce joyau fait partie des deux seules pendules de ce type fabriquées par cet horloger. L’autre, qui fait la moitié de la taille de celle qui a été endommagée au Brésil, est exposée au Château de Versailles. L’exemplaire malmené se trouve actuellement dans l’atelier d’Audemars Piguet au Brassus dans la Vallée de Joux en Suisse, pour une période de restauration de dix à douze mois.
Les œuvres, certaines avec des cicatrices apparentes voulues rappelant le kintsugi, rejoignent ainsi peu à peu leur place. Les sanctions, elles, tombent. Certains vandales ont déjà été condamnés à 17 ans de prison ferme. Inéligible jusqu’en 2030, l’ancien président Jair Bolsonaro, dont le passeport vient d’être confisqué, risque, lui aussi, la prison pour sa responsabilité dans la préparation d’un coup d’Etat et les attaques.