1. Un salon entre collègues et amis (1968-1974)
L’Association des Galeries d’Art Actuel de Belgique a été fondée en 1967 par cinq amis propriétaires de galeries, dont Stéphane Janssen (le père des galeristes Rodolphe Janssen – de la galerie éponyme – et de Sébastien Janssen – Sorry We’re Closed –) et Ivan Lechien (galerie Cogeime) qui en assure le secrétariat et la communication. Elle organise sa première foire en 1968 dans la salle Arlequin située dans les renommées Galeries Louise. Au vu des images, la manifestation ressemble plus à un salon qu’à une foire telle que nous la connaissons aujourd’hui. La grande majorité des membres sont des galeries bruxelloises. Y participent aussi la gantoise de Richard Foncke et, plus tard, la liégeoise Vega de Manette Repriels.
Cette première version de la foire s’inspirait d’initiatives similaires comme le défunt salon des « Galeries Pilotes » à Lausanne (1963) et la « Kunstmarkt » de Cologne fondée un an plus tôt, en 1967. Mais il s’agissait surtout de s’insurger (déjà !) contre la fermeture du Musée d’Art moderne de Bruxelles (en 1959) et de déplorer l’absence d’un musée d’art contemporain digne de ce nom dans la ville.
À ses débuts, la foire ne compte qu’une dizaine de participants, n’a lieu que tous les deux ans et est nomade : on la retrouve par exemple aux Halles de Bruges en 1972. Pour Betty Lechien, « ces changements ne reflètent pas une stratégie déterminée, mais relèvent plutôt du hasard. La Foire d’Art Actuel étant une initiative autofinancée, l’Association des Galeries d’Art Actuel de Belgique l’installait là où les conditions de location apparais-saient favorables » (*1). Toutes défendent l’art contemporain de l’époque, c’est-à-dire des membres de groupes ou de mouvements tels que Cobra ou Zero, les artistes associés aux Nouveaux Réalistes, ou à la Nouvelle Figuration, les tenants de l’art optique et cinétique, mais aussi ceux de l’École de Paris et de leurs nombreux épigones belges.
En 1974, pour sa quatrième édition, la foire déménage au Casino de Knokke. Ce lieu possède une véritable histoire, car il est la propriété de la famille Nellens, amis et collectionneurs de Magritte auquel Gustave Nellens avait commandé, en 1953, une fresque monumentale panoramique, Le domaine enchanté. Son fils Roger en commanda une autre à Keith Haring en 1987. Outre de grandes expositions personnelles de peintres et sculpteurs du XXe siècle, le Casino a également accueilli quatre éditions du célèbre Festival international du cinéma expérimental, dont la dernière eut lieu en cette même année 1974.
2. La reconnaissance au Palais des Beaux-Arts (1976-1991)
Un changement d’envergure survient en 1976, quand la Foire d’Art Actuel parvient à bénéficier des vastes salles des expositions du Palais des Beaux-Arts (à l’instar de la Foire des Antiquaires, future Brafa). La manifestation y gagne en légitimité et en reconnaissance, car au milieu des années 1970, l’institution traverse un véritable âge d’or. Les expositions d’artistes contemporains de premier plan – de Marcel Broodthaers à Robert Ryman en passant par Hanne Darboven, Sol LeWitt, Morris Louis, Dan Graham, James Lee Byars, Daniel Buren, Roman Opalka ou encore Gerhard Richter – s’enchaînent, les galeries soutiennent l’initiative et les collectionneurs suivent. Le Palais conçu par Victor Horta s’inscrit sur la carte des lieux contemporains de références en Europe à cette période.
La foire – dont Ivan Lechien est devenu le président cette même année 1976 – se tient tous les deux ans et rassemble une quinzaine de galeries belges. Le besoin de s’ouvrir à l’extérieur se fait de plus en plus sensible et, sous l’impulsion d’Albert Baronian, nommé nouveau président de la foire en 1987, chaque galerie belge peut désormais inviter un confrère étranger. De quinze galeries, on passe à trente : c’est le début de l’internationalisation de cette foire qui ne fera que s’accentuer.
Les salles du Palais des Beaux-Arts n’étant pas extensibles, la foire commence à se sentir à l’étroit, car comme l’explique Baronian, « il n’y avait de la place que pour trente galeries. Je trouvais ce chiffre un peu restrictif, d’autant plus qu’apparaissaient beaucoup de nouvelles enseignes, surtout en province. Parallèlement, Jan Debbaut, qui était devenu le nouveau direc-teur du Palais, souhaitait se distancier des manifestations commerciales qui y étaient organisées, comme notre Foire ou celle des Antiquaires. » (*2)
3. La professionnalisation au Heysel (1993-2015)
Une nouvelle ère s’ouvre alors, même si certains regrettent le départ du centre-ville. Les galeries étrangères deviennent majoritaires et la foire acquiert une renommée internationale. Elle est toujours gérée par l’Association des Galeries d’Art Actuel dont la structure n’est cependant pas ou plus adaptée à l’évolution et au développement de la manifestation. En 1997, après de nombreuses discussions, l’Association trouve un accord avec Éric Everard, patron de la société Artexis active dans le domaine des foires commerciales spécialisées. Sous le nom d’EasyFairs, cette entreprise européenne est toujours à la tête de l’actuelle Art Brussels, le nouveau nom de la foire bruxelloise. Outre cette nouvelle appellation, Éric Everard opère un bouleversement plus important, puisque, dès 1997, la foire devient désormais annuelle, notamment pour s’adapter à un marché de l’art international en pleine expansion. Les années suivantes, l’entreprise consolide ses positions pour atteindre en 2015,sa dernière année sur le site de Brussels Expo sur le plateau du Heysel, des chiffres records en termes du nombre des galeries participantes – elles sont alors 191 – et de visiteurs qui, pour la première fois, passent la barre symbolique des 30 000 pour s’établir à 30 836 visiteurs exactement.
On ne peut dissocier de ce succès les directrices opérationnelles de la foire qui sont toutes des femmes, fait suffisamment rare, surtout à cette époque, pour être retenu. En effet, dès 1998, suite au changement d’actionnariat, c’est la regrettée Karen Renders (1957-2012) qui est nommée directrice générale de la foire. Peu avant son décès, elle invite la curatrice Katerina Gregos (actuelle directrice artistique du Musée national d’art contemporain (EMST) d’Athènes) à occuper un nouveau poste, celui de directrice artistique afin de revitaliser la manifestation. Elle y reste pendant quatre ans, travaillant en étroite collaboration avec la nouvelle directrice générale, Anne Vierstraete, nommée en 2013. Celle-ci pilote notamment la naissance d’Art Antwerp en 2021 et occupe la fonction jusqu’en 2022, tout en restant « Senior Advisor ». Responsable des relations avec les galeries depuis 2006, Nele Verhaeren lui a succédé à la tête de la foire depuis deux ans.
4. Un nouvel élan à Tour & Taxis (2016-2022)
Après vingt et une éditions au Heysel, la foire se lance un nouveau défi en s’installant – de la même façon que la Brafa – dans un remarquable site en début de rénovation et en attente de nouvelles affections après son passé industriel, les entrepôts de Tour & Taxis. Ils sont situés en bordure du canal, mais non loin du centre-ville. Les quatre anciens hangars – dénommés sheds – qui autrefois entreposaient les marchandises à dédouaner ne permettent cependant pas d’accueillir autant de galeries que précédemment. Durant les cinq années d’occupation du lieu (la manifestation ne s’est pas tenue en 2020 et 2021, en raison de la pandémie du Covid), la jauge des participants s’est établie autour de 150 galeries pour une fréquentation tournant aux alentours des 25 000 visiteurs.
Il s’agissait aussi de redynamiser la foire et de profiter de cette nouvelle configuration pour l’articuler différemment. Ainsi, la section DISCOVERY, créée l’année précédente, est amplifiée à Tour & Taxis, puisque de dix galeries présentant des artistes émergents, leur nombre est passé à trente aujourd’hui. L’autre nouvelle section, REDISCOVERY, consacrée à la réévaluation d’artistes contemporains quelque peu oubliés, date, elle, de l’arrivée sur ce nouveau site en 2016, tandis que la section INVITED a vu le jour en 2019, toujours dans les anciens entrepôts. Après l’interruption due au covid, une dernière édition se tient au bord du canal en 2022.
5. Une autre dimension au Palais 5 de Brussels Expo, à partir de 2023
Les gestionnaires deTour& Taxis souhaitant développer des manifestations de plus longue durée sur la moitié des bâtiments des « sheds », les grandes foires qui s’y tenaient comme la Brafa, Art Brussels ou la Foire du Livre ont dû trouver de nouvelles implantations. Alors qu’Art Brussels n’occupait auparavant que les halls modernes et latéraux du site du Heysel, l’opportunité s’est présentée l’année dernière d’occuper deux des bâtiments historiques – ceux construits en 1935 pour l’exposition universelle de Bruxelles –, dont le majestueux Palais 5 qui fait face à l’Atomium. Cette nouvelle version de la foire a rassemblé en 2023 152 galeries belges et internationales et a accueilli 26 129 visiteurs. Les organisateurs estiment que ce chiffre sera dépassé cette année, puisque le nombre de galeries invitées s’élève désormais à 177. L’effet anniversaire et l’aspect plus festif annoncé devraient en outre doper la fréquentation de l’événement qui a par ailleurs accentué la part internationale de son offre.
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(*1) Betty Lechien, Entretien avec Virginie Devillez et Valérie Verhack, le 27 octobre 2006 (Archives de l’art contemporain en Belgique, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles).
(*2) Albert Baronian, Entretien avec Virginie Devillez, le 21 juin 2008, dans « Nothing is Permanent. Albert Baronian », Bruxelles, Éditions La Lettre Volée, 2009, p. 47-48.
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Art Brussels 2024, 26 avril - 28 avril 2024, 11h00 - 19h00, Brussels Expo, Halls 5 & 6, Place de la Belgique 1, 1020 Bruxelles.