Longtemps reflet de la situation hégémonique des États-Unis et des grands pays européens, la Biennale de Venise se devait de prendre en compte l’évolution géopolitique du monde. Occupant une place démographique mais aussi économique majeure, les pays asiatiques et leurs artistes se taillent désormais une vraie place au sein de ce grand rendez-vous de l’art contemporain. Que ce soit aux Giardini avec les pavillons du Japon (avec les créations de Yuko Mohri), de la Corée (on ne peut plus minimal avec un parcours olfactif conçu par Koo Jeong A pour son 30e anniversaire à la Biennale), à l’Arsenale avec ceux des Philippines, de Singapour, de l’Ouzbékistan et, presque tout au bout, celui de la Chine. Assez consensuel, ce dernier présente le travail de sept artistes autour du thème de la dissémination ainsi que des archives numériques localisant dans les musées du monde entier les peintures chinoises anciennes, dans une démarche patrimoniale.
Les Philippines, qui disposent cette année « du plus grand espace jamais octroyé à ce pays », selon Carlos Quijon Jr, commissaire du pavillon, mettent l’accent sur la colonisation. L’artiste Mark Salvatus a créé une installation textile, sonore et vidéo autour d’un héros local qui a contribué « à semer les graines de la révolution nationale » après notamment l’occupation espagnole, explique-t-il.
La colonisation imprègne aussi la participation de Singapour, qui se démarque avec une belle installation de Robert Zhao Renhui accompagnée d’un film sur la déforestation et les traces des occupations passées. Tel un ethnologue, l’artiste dresse un inventaire visuel des traces d’occupation par les Britanniques ou les Japonais, et en parallèle celui des plantes exogènes ou indigènes que l’on trouve dans la Cité-État…
Le pavillon taïwanais (au Palazzo delle Prigioni) se veut plus engagé face aux menaces réelles que représente la Chine. L’inquiétante vidéo de Yuan Goang-Ming met en scène la capitale, Taïpei, durant une simulation d’alerte militaire, une œuvre que l’on ne souhaite pas prémonitoire…
Situés juste en face de l’entrée de l’Arsenale, impossible de manquer les espaces occupés par deux pays aux problématiques différentes. Hongkong propose une exposition très réussie de Trevor Yeung coorganisée par le M +, avec quatre installations autour de l’eau qui fait écho à la lagune vénitienne. La kyrielle d’aquariums évoquant avec subtilité le commerce maritime qui fut longtemps la principale richesse historique de Hongkong… et de Venise !
À deux pas, toujours face à l’entrée de l’Arsenale, le pavillon de Mongolie propose une exposition d’Ochirbold Ayurzana littéralement « squelettique » et dont les personnages en os se réfèrent au bouddhisme mais aussi à la danse. Pour Oyunjargal Oyuntuya, commissaire du pavillon, basée en Allemagne et cocuratrice du pavillon avec Gregor Jansen, directeur de la Kunsthalle Düsseldorf, « la Mongolie et l’Allemagne célèbrent 50 ans de relations diplomatiques, ce dont témoigne la participation de la Kunshalle, qui exposera de son côté dix artistes mongoliens » (du 29 juin au 8 septembre 2024). Les échanges de visites officielles l’année dernière entre Emmanuel Macron et son homologue mongol vont-ils déboucher sur des projets culturels de la même eau ?
L’Inde, quant à elle, n’a pas de pavillon cette année, mais des artistes présents dans l’exposition « Foreigners Everywhere » d’Adriano Pedrosa – avec une dizaine d’artistes – et dans plusieurs sites de la Sérénissime. Le Kiran Nadar Museum of Art (KNMA) de New Delhi présente ainsi une exposition du grand artiste moderne M.F. Husain (1915-2011) au Magazzini del Sale à Dorsoduro, les œuvres du peintre indien étant complétées par une grande installation immersive.
Au-delà des pavillons nationaux, d’autres mettent à l’honneur des artistes originaires d’Asie, comme au pavillon des pays nordiques avec une exposition curatée par Lap-See Lam, dont la famille vient de Hongkong. Les artistes asiatiques sont aussi présents dans les événements collatéraux. En font partie « The Spirits of Maritime Crossing », au Palazzo Smith Mangilli Valmarana, exposition d’une dizaine d’artistes d’Asie du Sud-Est, du Cambodge au Vietnam, conçue avec le concours de la Bangkok Art Biennale Foundation. Enfin, la Corée reste très bien représentée dans Venise, avec entre autres une exposition de Lee Bae à la Wilmotte Foundation ou plusieurs salles consacrées à Lee Ufan – avec de nouvelles œuvres – à la Berggruen Arts & Culture, qui inaugure le 19 avril ses nouveaux locaux au palazzo Diedo.