Le visiteur de la Biennale peut difficilement rater la pétillante peinture monumentale du collectif brésilien MAHKU (Mouvement des artistes Huni Kuin), réalisée in situ en 45 jours par cinq artistes indigènes sur la façade extérieure du pavillon central des Giardini. Il s’agit là d’une déclaration emblématique, visible par tous. L’œuvre claque par ses couleurs vives, sa présence et sa vitalité. Elle raconte des récits mythiques et des histoires ancestrales sur la naissance du monde et la division entre les espèces. C’est une traduction visuelle de chants huni meka, un savoir traditionnel qui accompagne les rituels nixi pae arrosés d’ayahuasca, cette boisson au potentiel hallucinogène préparée avec des plantes amazoniennes.
La fresque murale montre surtout que ces peuples autochtones sont toujours bien vivants. Et avec eux, la forêt, les fleuves, les animaux, les arbres et les rivières qu’ils protègent. C’est un appel à l’aide poétique, positif et non agressif pour préserver la forêt et l’écosystème de l’Amazonie dont ces artistes sont issus. Malgré la déforestation, les incendies et la perte de territoire, les Huni Kuin sont encore là, la faune et la flore aussi. Comme l’affirme Ailton Krenak, le grand intellectuel autochtone fraîchement élu à la prestigieuse académie brésilienne des lettres, « à travers la langue, la littérature ou les arts, les cultures des peuples originaires peuvent être vues comme des cultures vivantes, et non figées dans le passé ».
La Biennale de São Paulo, qui a présenté quatorze peintures MAHKU lors de sa dernière édition en 2023, nous confirme avoir répondu avec enthousiasme à l’appel d’Adriano Pedrosa, le commissaire de la 60e Biennale de Venise pour soutenir ce projet à hauteur de 90 000 euros pour la logistique (transport, logement et nourriture des cinq artistes pendant un mois et demi). Dans le cadre d’une collaboration mise en place avec l’Académie des beaux-arts de Venise, des étudiants de cette institution sont venus aider les artistes Huni Kuin à terminer à temps la peinture, d’une taille monumentale.
À Venise, Adriano Pedrosa est aux peuples autochtones ce que le gouvernement de Lula s’efforce d’être pour eux au Brésil aujourd’hui : la voix des sans-voix. Avec le thème choisi cette année, « Les étrangers partout », le commissaire rend visible ceux qui sont invisibles au Brésil depuis le début du XVIe siècle, date de la colonisation portugaise. Probablement au nombre de 6 millions avant l’arrivée des Européens, ils sont aujourd’hui environ 1,7 million répartis en 305 ethnies. Traités comme des étrangers sur leur propre terre, ces Amérindiens ne cessent de lutter pour survivre depuis des siècles. À Venise, une plateforme et un écho international leur est donc donné pour la première fois à travers la présentation de leur art, symbole de leur résistance et leur mémoire. Au Brésil, un ministère leur est enfin dédié, avec à sa tête une activiste autochtone influente, Sonia Guajajara.
Marginalisés dans l’histoire de l’art, les artistes indigènes font depuis récemment l’objet de plus d’attention grâce à des commissaires et directeurs d’institutions progressistes et respectés comme Hervé Chandès et Bruce Albert à la Fondation Cartier pour l’art contemporain à Paris – « Yanomami, l’esprit de la forêt », en 2003, et « Histoires de voir, Show and Tell », en 2012 ; Adriano Pedrosa au MASP (Musée d’Art de São Paulo) avec « MAHKU : Mirações et Historias indigenas,en 2023-2024 » ; Jochen Volz à la Pinacothèque de São Paulo – « Véxoa : Nos sabemos, 2020 » ; Benjamin Seroussi à la Casa do Povo à São Paulo, « Manto em movimento » par Glicéria Tupinambá, en 2023 ; Renato Imbroisi à l’Instituto Tomie Ohtake à São Paulo,avec « Arte Juruna e Arara da Volta Grande do Xingu »,en 2022. Avec Venise, terminée la lutte de niche. Mis en lumière, leur combat s’inscrit désormais dans une réflexion plus vaste, un débat plus international aux côtés des First Nations, des Inuits et des Métis canadiens, ainsi que des Maoris de Nouvelle-Zélande.
Terre d’étrangers, le Brésil abrite de nombreuses diasporas. Outre les Portugais qui ont envahi et colonisé le pays, celui-ci compte les plus grandes diasporas africaine, italienne, japonaise et libanaise au monde. Mais le point de vue adopté à Venise est cette fois-ci celui du Sud, et plus particulièrement, celui des peuples autochtones dans leur diversité : les Tupinamba, les Pataxo, les Karapoto, les Baniwa, les Wapichana. Le curseur bouge. Dans la Sérénissime, l’histoire du Brésil est écrite à partir du point de vue des peuples qui ont été envahis. Six personnes d’origine indigène – trois commissaires (Arissana Pataxó, Denilson Baniwa et Gustavo Caboco Wapichana) et trois artistes (Glicéria Tupinambá, Olinda Tupinambá et Ziel Karapotó) ont été choisies pour représenter le Brésil dont le pavillon est pour l’occasion rebaptisé Hãhãwpuá en langue de l’ethnie Pataxó, pour désigner le Brésil avant la colonisation. En ce sens, le Manteau à plumes présenté par Glicéria Tupinamba a une résonance très particulière car il fait référence au Manteau ancestral Tupinambá qui est sur le point de rentrer enfin au Brésil après avoir été conservé au Danemark depuis 1689. Il va bientôt quitter le Musée national du royaume scandinave pour entrer dans les collections du Musée de Rio de Janeiro, qui avait entièrement brûlé en 2018. Tout un symbole.