Après des reports et des protestations passionnées, Venise deviendra ce mois-ci la première ville au monde à faire payer l’entrée aux touristes y venant pour un seul jour. Avant le lancement de ce projet pilote, les conseillers municipaux ont déclaré que d’autres villes pourraient s’inspirer de l’expérience de Venise, tandis que les critiques ont affirmé que ce dispositif était voué à l’échec.
Chaque année, environ 30 millions de visiteurs envahissent Venise, site classé au patrimoine mondial de l’Unesco, où vivent moins de 50 000 personnes. L’afflux de visiteurs a poussé les habitants à se réfugier sur le continent, fuyant la hausse des loyers et l’engorgement des rues par les touristes. Selon les statistiques officielles, les deux tiers des visiteurs viennent dans le cadre d’excursions et contribuent peu à l’économie locale.
Les touristes d’un jour devront désormais payer 5 euros pour entrer à Venise entre 8 h 30 et 16 heures certains jours. Le projet pilote sera mis en place pendant 29 jours entre le 25 avril, jour de la fête de saint Marc, le saint patron de Venise, et le 14 juillet, y compris pendant la plupart des week-ends. Les visiteurs devront télécharger un code QR qui pourra être vérifié par les contrôleurs patrouillant aux principaux points d’entrée, tels que la gare Santa Lucia et le parking de la Piazzale Roma. Les contrevenants s’exposent à des amendes allant de 50 à 300 euros.
Les résidents, les propriétaires, les étudiants et les travailleurs, y compris les navetteurs, sont exemptés de cette taxe. Les enfants de moins de 14 ans, les personnes nécessitant des soins et les visiteurs séjournant dans des logements loués ou des hôtels – qui paient déjà une taxe de séjour comprise entre 1 et 5 euros par nuit – devront s’inscrire pour leurs visites, mais ils seront exemptés de la taxe. Les touristes qui visitent uniquement les îles autour de Venise, y compris le Lido et Murano, n’auront pas à payer la taxe. Au 6 mars, près de 5 000 personnes avaient déjà prépayé la taxe, tandis que 23 000 personnes exemptées avaient enregistré leur présence, ont indiqué les responsables municipaux à The Art Newspaper.
Simone Venturini, en charge du tourisme à Venise, admet que ce dispositif, qui a coûté 3 millions d’euros à mettre en place, n’est pas une « solution miracle », mais il estime qu’il pourrait dissuader certains visiteurs « à la sauvette » de réserver des vacances pendant les jours les plus chargés de l’année. Les contrôleurs, qui seront entre 50 et 60 à être déployés chaque jour, feront preuve d’indulgence pendant cette période d’expérimentation, permettant à ceux qui n’ont pas de code QR d’en télécharger un tout en restant dans une « zone tampon » près des points d’entrée, ajoute-t-il. Les données recueillies par la salle de contrôle intelligente, où les opérateurs surveillent les mouvements des touristes à l’aide de caméras vidéo et de données des téléphones portables, aideront à évaluer l’impact du programme, ce qui permettra de l’adapter à l’avenir.
Cette mesure a vu le jour après que l’Italie a adopté en 2019 une loi autorisant Venise à instaurer une taxe d’excursion d’un montant maximal de 10 euros. Le projet a été repoussé pendant la pandémie, et un dispositif similaire prévu pour l’année dernière a été reporté afin que le système puisse être perfectionné. Lorsque les conseillers municipaux ont voté par 24 voix contre 10, en septembre 2023, l’introduction de la nouvelle taxe de 5 euros, l’hôtel de ville a été envahi par des conseillers furieux, accusant le maire Luigi Brugnaro de nuire à la cité, et par des manifestants en colère brandissant des banderoles.
Giuseppe Saccà, conseiller municipal d’opposition membre du parti démocrate de centre gauche, a déclaré qu’il était « honteux » que Venise devienne la première ville payante au monde. Des représentants du gouvernement italien ont également critiqué cette initiative. « Je ne suis pas d’accord avec l’utilisation de la fiscalité pour gérer le tourisme, a déclaré Daniela Santanché, ministre italienne du Tourisme, lors d’un événement en février 2024. Il vaut mieux qu’un service coûte plus cher qu’une taxe [qui] ne donne rien en retour. »
Si d’autres destinations ont introduit des taxes pour gérer le surtourisme – notamment le Bhoutan, petit pays de l’Himalaya, qui fait payer 200 dollars par jour aux visiteurs, et l’État mexicain de Quintana Roo, qui fait payer 18,80 dollars –, elles sont généralement incluses dans les frais d’hébergement ou les frais de visa. Venise sera la première ville au monde à faire payer l’entrée aux visiteurs.
Une mesure difficile à mettre en œuvre
Selon Giuseppe Saccà, ce projet « désordonné et confus » va rendre la vie « impossible » aux Vénitiens qui travaillent et sera « impossible à appliquer ». Selon lui, Venise devrait plutôt créer des forfaits de services pour les touristes, incluant le transport et les tickets d’entrée pour les musées, avec des prix variables en fonction de la période pour réguler les flux de visiteurs. Il estime que cette nouvelle taxe sera un moyen de générer des revenus destinés à dissuader l’Unesco d’inscrire Venise sur sa liste noire. En septembre de l’année dernière, l’organisation internationale a décidé de ne pas inscrire Venise sur la liste des sites menacés, mais a déclaré que « des progrès [restaient] à faire ». Giuseppe Saccà accuse également le maire Luigi Brugnaro de ne rien faire pour lutter contre le tourisme excessif.
Le conseiller municipal Simone Venturini défend la politique du maire : depuis la pandémie de Covid-19, lorsque le nombre des touristes a chuté, la ville a limité l’ouverture de nouveaux hôtels, bars, restaurants et boutiques de souvenirs, a travaillé avec le gouvernement italien pour interdire les bateaux de croisière à proximité du centre historique, et a annoncé une limite de 25 personnes pour les groupes de touristes. Le responsable du tourisme prédit que Venise en récoltera bientôt les fruits. « La tendance est en train de s’inverser », dit-il.
Il ajoute que ce système sera une aubaine pour les visiteurs de la Biennale de Venise, qui ont tendance à rester plus d’une journée dans la cité. « Il y aura moins de pression sur la ville, justifie-t-il. Pour tous ceux qui décideront d’y rester dormir, celle-ci sera plus belle, plus agréable à vivre. »
Lors d’une conférence de presse en novembre, Michele Zuin, le responsable des finances de la Ville de Venise, a balayé les accusations selon lesquelles la taxe visait à engendrer des revenus, affirmant qu’elle devrait générer 700 000 euros, soit beaucoup moins que ce qui a été investi.
Claudio Vernier, président de l’association Piazza San Marco, un collectif de protection du patrimoine local, estime que la taxe est une bonne idée, mais que les visiteurs devraient payer un montant plus élevé, environ 10 euros. Seuls 10 % des touristes visitent les musées municipaux de Venise, ce qui signifie qu’ils contribuent peu aux institutions culturelles, explique-t-il. Il suggère que les fonds récoltés grâce à une taxe plus élevée soient utilisés pour restaurer le patrimoine de la ville.
Giovanni Leone, président de DO.VE, une association de commerçants et d’artisans vénitiens, considère quant à lui que cette taxe touristique sera inefficace. La municipalité devrait plutôt s’attaquer aux locations de vacances, maintenant que les hôtels, les chambres d’hôtes et les appartements loués dans le centre historique ont la capacité d’accueillir 50 000 touristes par jour, soit plus que les résidents vénitiens, estime-t-il. Il reproche à Luigi Brugnaro de ne pas avoir profité d’une loi nationale adoptée en 2022 permettant à Venise de limiter le nombre des locations saisonnières. « Si nous appliquons cette mesure, nous serons un modèle pour d’autres villes victimes d’un tourisme excessif », affirme Giovanni Leone.