Le spectacle n’a pas encore commencé mais le rideau de scène donne déjà le ton. Il s’agit d’un grand planisphère, dont les continents prennent la forme d’empilement de briques, métaphore d’un monde qui trouve son unité dans la somme de multiples contributions. En ce soir d’avril à Genève, le Grand Théâtre propose la première de Saint François d’Assise, d’Olivier Messiaen, opéra de plus de cinq heures. Décors, costumes, mise en scène sont dus à un invité de choix : l’artiste Adel Abdessemed.
Le mariage de l’opéra et des arts visuels n’est pas rare, le premier se considérant souvent comme un art total. Les artistes sont nombreux à avoir accompagné de leurs œuvres les voix et les airs imaginés par les plus grands compositeurs, d’Anselm Kiefer à Bill Viola, ce dernier réalisant en 2005 la scénographie vidéo de l’opéra de Richard Wagner Tristan et Isolde à l’Opéra Bastille à Paris, dans une mise en scène de Peter Sellars. En 2015-2016, l’artiste sud-africain William Kentridge a de son côté réalisé les décors et la mise en scène de Lulu d’Alban Berg donné à Amsterdam, New York et Londres, les chanteurs évoluant devant les dessins dans le style caractéristique de l’artiste projetés derrière eux. Mise à l’honneur actuellement au Palazzo Grassi à Venise, Julie Mehretu a œuvré avec la compositrice finlandaise Kaija Saariaho et le metteur en scène Peter Sellars déjà cité pour réaliser les décors de Only the Sound Remains, réalisant de grandes toiles à la dimension cérémonielle, voire mystique.
À Genève, le mysticisme est aussi de mise avec Saint François d’Assise, un opéra profondément catholique, ce qui peut apparaître comme quelque peu provocateur pour le public de ce haut lieu du calvinisme. Mais, Adel Abdessemed vient apporter à l’œuvre de Messiaen une bonne dose d’œcuménisme à force d’étoiles de David ou de références à la culture musulmane, en installant par exemple un hammam sur scène. Le visage du pape François apparaît aussi furtivement dans une vidéo. Au gré des changements de tableaux et des actes, apparaissent de multiples références au corpus de l’artiste, des pigeons aux poulets enflammés qui viennent comme un flash. Aux costumes des hommes ponctués de composants électroniques ou de sacs de migrants, répond la robe immaculée de l’ange – la remarquable Claire de Sévigné –, qui fait à la fois penser par ses plis à une colonne antique et au vêtement affolant porté par Marilyn Monroe dans 7 ans de réflexion.
7 ans, c’est justement la durée que ce projet a mis pour voir le jour. Mais ce fut aussi le temps de se replonger dans l’histoire de l’art – Cimabue, Fra Angelico… – pour donner à Saint François d’Assise un visage contemporain.
Saint François d’Assise, Opéra d’Olivier Messiaen, les 16 et 18 avril 2024 à 18 heures, Grand Théâtre de Genève, Boulevard du Théâtre 11, 1204 Genève, Suisse