Michel François : Feuilles, Flaques, Anneaux et Sédiments
Les flaques annoncées dans le titre sont au nombre de quatre. Michel François les a fait suspendre en différents endroits de la galerie. L’une d’elles est maculée d’un peu d’encre noire dans sa partie basse, comme pour marquer la fragile présence du sujet-artiste. On se faufile entre les flaques et on croise, posé sur un tapis d’asphalte, un bloc de sel gemme qui se décompose sous l’effet d’un très lent goutte-à-goutte. Timelaps (250 millions d’années/10 secondes) invite à une méditation sur le temps qui peut donner le vertige.
Les feuilles végétales, grandes, belles et larges, sont recouvertes de peinture dans une teinte réaliste avant d’être fixées sur des panneaux d’acier par des bandes aimantées. Un herbier géant parti à la conquête de l’espace.
Les anneaux, ce sont deux grandes feuilles d’un abrasif noir, épais, pliées en rouleau et posées debout sur le sol. Sur la face externe (celle d’usage) de l’un a été tracé un large bandeau et quelques minces lignes en blanc ; sur celle de l’autre des lignes de couleur évoquant un ciel de fin de journée. Deux gestes d’inscription libre qui donnent le sentiment d’une énergie contenue.
Les sédiments, on les remarque dans de petits panneaux muraux dans l’esprit et la manière du terrazzo. On croit y reconnaître des chutes de papiers ou d’adhésifs, des contours de forme pris dans un liant qui ressemble au ciment. À côté de ces restes d’activité, vient se glisser une mâchoire animale ; ce qu’on laisse, ce qui reste. Au bout du parcours, figure un cactus suspendu retourné sur lequel ont été semées quelques fines billes de polystyrène. Variation sur le thème d’une nature corrompue avec grâce.
L’exposition montre plusieurs façons de travailler avec le naturel, le hasard, une idée, un matériau, en un ton non exempt de gravité.
Du 4 avril au 1er juin 2024, Mennour, 5 rue du Pont de Lodi, 75006 Paris
Javier Pérez : Un souffle
En 1619, Descartes fit trois rêves qu’il interpréta aussitôt et qui furent déterminants dans la conduite de sa vie. Los tres sueños de Descartes sont trois sculptures en bronze de Javier Pérez. Chacune d’elles a été moulée d’après une branche d’arbre tordue de manière à former un cube ouvert approximatif. Que l’épisode de la vie du philosophe ait servi d’inspiration ou que le désir d’approcher sauvagement la géométrie ait été premier, ces œuvres sont exemplaires de la façon dont l’artiste lie la pensée au végétal et au travail de la main.
Dans les six dessins titrés Representación y Pulsión (desvelo de la razón), il a peint des motifs de buissons et leur a superposé, avec des fils tendus entre des aiguilles, des ébauches de tracés géométriques. Plus qu’un simple jeu d’oppositions, on veut y voir quelque chose qui touche à l’interprétation, à une volonté de lire ce qui se présente à nous comme masse confuse et obscure.
Dans quatre diptyques sur carton noir (Polaridad), Pérez a peint des paysages à partir de photos prises la nuit dans la forêt. Un côté du diptyque offre une vision lumineuse par un méticuleux travail avec le blanc et des pigments métalliques. L’autre côté est une vision sombre. Dans les deux cas, la peinture et le fusain travaillent avec la matérialité du support pour nous faire pénétrer dans l’image.
Enfin, le versant plus ouvertement allégorique de l’artiste se manifeste dans l’ensemble de sculptures et dessins Inspiraciòn - Expiración. Dominant cet ensemble, une sculpture en bronze : une figure ouverte dont la bouche est traversée d’une très longue branche et, sur celle-ci, le cycle de la vie en une longue métamorphose de l’œuf au crâne et du crâne à l’œuf.
Du 6 avril au 18 mai 2024, Galerie Papillon, 13, rue Chapon, 75003 Paris
Jacob Kassay : Khiropractik
Jacob Kassay est connu pour son approche conceptuelle de la peinture et sa façon d’interroger avec un minimum de moyens les conditions de l’exposition. L’apparition dans son œuvre de sculptures de mille-pattes, sous plusieurs espèces non précisées, a de quoi surprendre. En verre soufflé, longs de 66 cm environ, les myriapodes glissent et se tortillent solitairement sous la lumière d’un spot coloré. Dans la dernière salle, l’un d’eux chemine sur un long socle. La transparence et les jeux de lumière font un spectacle qui tient à la fois du musée des sciences et de la fantasmagorie. La chiropratique invoquée en titre, tout en suggérant un rapprochement avec l’animal, contribue un peu plus à nous dérouter.
Le mille-pattes est-il davantage métaphore de l’humain que celui d’une œuvre d’art, bête curieuse, invasive, adaptable à toutes les situations ? Jacob Kassay nous oblige à des contorsions entre le littéral et le symbolique, les images et les mots.
À l’entrée de la galerie, de chaque côté de la porte, sont accrochées deux peintures de 2017 qui portent le même titre, Scientology Task Force. Toutes deux reproduisent le logo de la secte éponyme : le pictogramme d’un profil répété cinq fois concentriquement. Les cinq profils sont reliés par des traits de manière à former un labyrinthe avec le S de dollar en réponse à celui de la célèbre secte. Une ligne serpentine qui fait écho à celles que dessinent les mille-pattes en même temps qu’une mise en garde contre les manipulations ? Duchamp, citant Brancusi, définissait l’art comme une « merveilleuse illusion ».
Du 4 avril au 18 mai 2024, Galerie Art : Concept, 4 passage Sainte-Avoye, 75003 Paris
Marc Johnson : The Sea is History (After Derek Walcott)
Partant de The Sea is History, long poème de Derek Walcott, Marc Johnson a réalisé une série de tapisseries dans des tons chatoyants. Il s’agit d’un dialogue avec cette écriture et avec l’histoire par le biais de l’image, et le recours à une technique traditionnelle et noble y joue un rôle essentiel.
Au thème de la noyade et à celui de la Renaissance, présents dans le poème, Johnson répond par la vision d’un espace subaquatique, véritable cosmos où projeter sa vision utopique. Dans deux des compositions, des mots de Walcott, détachés des vers, flottent comme le rappel d’une ancienne mémoire, paroles de vie d’un texte qui demande à être dépassé. L’afrofuturisme de l’artiste renouvelle puissamment l’imagerie associée généralement à ce terme, il est empreint de sensualité et dégage un sentiment de plénitude. L’échange avec le grand écrivain antillais passe aussi par l’inscription sur les murs du texte intégral du poème et celle d’un poème-manifeste de Johnson qui commence par « I Blackness ». C’est une façon de se situer dans un après Walcott qui sonne aussi comme un après l’histoire.
Du 29 mars au 16 mai 2024, Galerie Mitterrand, 79, rue du Temple, 75003 Paris