L’un des espaces artistiques les plus réputés de Gaza, qui conservait une collection de plus de 20 000 œuvres, a été entièrement détruit par les forces israéliennes au cours d’un raid sur l’hôpital Al-Shifa et le quartier environnant de la ville de Gaza. Shababeek for Contemporary Art, connu sous le nom de Shababeek (qui signifie « fenêtres » en arabe), était la pierre angulaire des arts visuels à Gaza.
Les forces israéliennes ont quitté l’hôpital Al-Shifa – le plus grand de Gaza – le 1er avril après l’opération menée durant deux semaines par les forces spéciales, qui ont arrêté des centaines de militants palestiniens présumés et détruit des bâtiments. Israël a déclaré avoir tué des centaines de combattants du Hamas qui s’y étaient installés ; le Hamas et le personnel médical ont nié la présence de combattants.
Après que l’armée israélienne s’est retirée, des images ont montré l’ampleur des destructions, de l’hôpital et de son quartier. « J’ai photographié de nombreuses guerres à Gaza, mais je n’ai jamais vu de telles images, explique Shareef Sarhan, l’un des cofondateurs de Shababeek, à The Art Newspaper depuis Istanbul, en Turquie. Tous les bâtiments de cette zone ont disparu. »
« C’est la première fois que je ne suis pas sur place », déclare l’artiste, qui s’était rendu avec sa famille à Istanbul pour voir son fils lorsque la guerre a éclaté à Gaza. Il a photographié plusieurs guerres précédentes pour des organisations internationales telles que l’ONU.
Le centre abritait une grande variété d’œuvres, des peintures, des sculptures et des photographies, dont environ 5 000 œuvres de Shareef Sarhan, qui dit avoir eu le cœur brisé lorsque les vidéos et les images de la destruction de Shababeek sont apparues. « Toutes mes œuvres, mes archives, tous mes souvenirs se trouvaient dans cet endroit, explique-t-il. Ma femme disait que c’était ma deuxième maison, mais en fait, c’était ma première maison ; tous les jours, du matin au soir, j’y étais. »
Les fondements de Shababeek datent de 2003, lorsque Shareef Sarhan et deux autres artistes, Basel El Maqosui et Majed Shala, sont rentrés à Gaza après une exposition de groupe à Ramallah et ont commencé à organiser des événements artistiques dans l’espace public.
« Nous avons créé le premier atelier d’art à Gaza en 2005 et nous avons obtenu des financements pour de petits projets, des ateliers et des expositions », explique Basel El Maqosui à The Art Newspaper. Depuis le début de la guerre, ce dernier a dû se déplacer à plusieurs reprises et il vit actuellement dans une tente à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza.
Après la prise de contrôle de Gaza par le Hamas en 2007, Israël et l’Égypte ont renforcé le blocus du territoire, limitant la circulation des marchandises aux produits de première nécessité. Selon Shareef Sarhan, ce changement a entraîné une pénurie de financement et de soutien pour le secteur culturel, en particulier pour les arts visuels, la communauté internationale ayant rompu ses liens avec Gaza.
En 2009, Shababeek a été officiellement créé lorsque Shareef Sarhan, Basel El Maqosui et Majed Shala ont trouvé à louer une vieille maison dans la ville de Gaza. La mission du centre d’art était de promouvoir les arts et de soutenir des artistes d’origines et d’âges divers dans toute la bande de Gaza.
Malgré les contraintes financières et les défis de la vie quotidienne – notamment le manque du matériel et des supports utilisés par les artistes, entièrement interdit par Israël à un moment donné selon eux –, le groupe a organisé de nombreuses expositions, des ateliers et des séminaires pour les artistes entre 2009 et 2017. Le centre s’est également attaché à éduquer et à soutenir psychologiquement des enfants confrontés au traumatisme des guerres récurrentes et aux restrictions de la vie sous blocus.
« Si vous voulez changer une communauté, vous devez utiliser la culture et l’art. Il s’agit d’un soft power, d’une résistance douce au changement, explique Shareef Sarhan. Grâce aux arts, on peut tout créer : l’espoir, l’amour, la paix, les rêves. Vous pouvez reconstruire la communauté et les gens. »
En 2017, Shababeek s’est donc installé dans son premier local permanent. L’année suivante, une généreuse subvention pour les arts visuels, attribuée par le gouvernement suédois et administrée par la Fondation Al-Qattan, a permis de renforcer son programme, de soutenir des artistes établis, d’encourager des talents émergents et des étudiants, et de lancer le premier programme de résidence d’artistes de Gaza.
« Nous avons soutenu de nombreux artistes. Nous leur avons donné [du matériel artistique] et des fonds pour produire des œuvres d’art, explique Shareef Sarhan. Nous avons aidé à former [les étudiants] à la création de nouveaux matériaux, de nouveaux supports. Nous leur avons donné de l’espace. »
Shareef Sarhan estime que le centre d’art Shababeek a collaboré avec plus de 500 artistes au cours de son existence. « Je n’ai peut-être pas gagné beaucoup d’argent personnellement [en faisant ce travail], mais j’ai fait l’histoire », revendique l’artiste, ajoutant qu’il n’a pas l’intention de retourner dans son pays d’origine après la guerre. Il envisage plutôt de collaborer avec d’autres artistes palestiniens résidant en dehors de Gaza à une initiative visant à fournir des revenus d’urgence aux artistes, dont beaucoup ont perdu leurs moyens de subsistance et leurs biens. « Shababeek n’est pas seulement un lieu, c’est une idée », résume Shareef Sarhan.
Le centre d’art était l’un des deux espaces établis pour les arts visuels à Gaza ; l’autre était le Eltiqa Group for Contemporary Art, qui a été détruit en décembre par une frappe aérienne israélienne.
Les experts de l’ONU ont publié une déclarationcondamnant la destruction et le massacre de l’hôpital Al-Shifa, exhortant les États membres de l’ONU à « mettre en œuvre toutes les mesures diplomatiques, politiques et économiques possibles, ainsi que les procédures juridiques, pour mettre fin à cette horreur ».