Joël Andrianomearisoa bénéficie d’une triple actualité. Il est présent sur le stand d’Almine Rech à la Foire Art Paris qui s’achève dimanche 7 avril 2024. Il expose pour la première fois – sous le commissariat de Jérôme Sans – dans cette même galerie rue de Turenne, où il a reçu l’insigne de chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres cette semaine. Déjà présent dans plusieurs institutions aux États-Unis (Studio Museum in Harlem à New York, Smithsonian à Washington et Dallas Contemporary), son travail va rejoindre la Michael C. Rockefeller Wing du Metropolitan Museum of Art à New York dédiée à l’Océanie, à l’Afrique et aux Amériques et dont la réouverture après rénovation complète est prévue pour 2025. Entretien.
Alors que l’Arts and Crafts est à l’honneur à la Foire Art Paris, quels sont vos liens avec l’artisanat, très présent dans votre travail et longtemps opposé à l’art contemporain ?
Joël Andrianoamearisoa : L’artisanat est pour moi une évidence. Il fait partie de mon souffle de vie. Depuis mes débuts d’artiste, je n’ai jamais dissocié les choses entre art contemporain et artisanat, qui a toujours fait partie de ma pratique. C’est peut-être lié à mon identité malgache, à des savoir-faire manuels. La main m’intéresse beaucoup : celle qui fabrique mais aussi la main qu’on tend. Y recourir n’est donc pas chez moi un phénomène de mode comme on le voit aujourd’hui. À Madagascar, j’ai toujours travaillé avec le textile, la vannerie ou la broderie, presque devenue un manifeste pour moi. Cela fait presque quinze ans que j’ai réalisé ma première tapisserie à Aubusson, des liens avec le tissage que l’on retrouve dans ma participation pour l’exposition « Hirafen » qui vient de se terminer au C3T à Tunis. Elle confrontait 19 artistes – dont Zineb Sedira – avec les savoir-faire tunisiens autour du tissage. Dans ces projets main dans la main avec les artisans, je leur donne une « intention ». Ensuite, ce qui m’intéresse, c’est la fragilité de l’artisan, son tâtonnement… Chez Almine Rech, mon approche de la broderie est conceptuelle. Je fais des dessins à l’échelle, je trace des mots et ensuite l’artisan reprend ma main, à sa manière.
L’artisanat ne se résume pas à un pays, ni au sud méditerranéen. Pour l’exposition à la Galerie Almine Rech, j’ai ainsi fait appel à des artisans parisiens pour les céramiques. Ce sont des géographies infinies.
Le noir s’est imposé comme votre langage…
Je dessine toujours en noir. C’est un langage, car le noir, c’est pour moi l’encre. C’est avec l’écriture que je commence. C’est le début d’une œuvre. C’est aussi un langage ouvert à la littérature, aux lignes, à l’architecture qui se forme sur une page ; mais aussi un style où je me situe.
Ce noir véhicule bien sûr le mystère, le romantisme. Toutefois, je veille à ne pas aller trop loin dans cette direction. J’aime la mélancolie de l’encre noire, le spleen de la bile noire baudelairienne. Mais je ne veux pas sombrer dedans. Je préfère évoluer dans la pénombre, dans le voilé-dévoilé. La nuit m’inspire, mais plus encore l’aube.
Le son et la voix sont de plus en plus présents dans votre travail, celle de Clotilde Courau sur les mains au MACAAL à Marrakech en 2023 et maintenant celle de Camélia Jordana à la Galerie Almine Rech…
Quand je commence un projet, les mots, les films, les livres comptent, mais aussi la musique qui fait partie des bourgeons. Cela concerne non seulement la mélodie mais aussi les paroles, que je dissèque. J’essaie d’insuffler de l’émotion. Il faut qu’il se passe quelque chose dans ce couloir. Le son y participe. J’ai toujours voulu avoir des voix de femmes dans mes œuvres : Jeanne Moreau dans une œuvre maintenant dans la collection de la Fondation Zinsou au Bénin ; Clotilde Courau à plusieurs reprises, et en premier à la Maison Maria Casarès [à Alloue, en Charente]. Ces femmes m’accompagnent dans mon propos. Dans les formes contemporaines aujourd’hui, la narration a souvent peu de place. Ici, au contraire, l’intervention du langage parlé renforce la narration directe ou labyrinthique. Et la collaboration avec Camélia Jordana va continuer !
« Joël Andrianomearisoa : Things and Something to Remember Before Daylight », jusqu’au 17 avril 2024, Galerie Almine Rech, 64, rue de Turenne, 75003 Paris, www.alminerech.com