C’est une vénérable institution qui a fait peau neuve à Düsseldorf. Édifié au milieu des années 1920 au sein d’un immense complexe destiné à accueillir de grandes expositions internationales mais aussi des foires, le Kunstpalast (palais de l’art) « était considéré à l’époque comme l’un des musées les plus modernes en Europe, en particulier pour son approche de la lumière et de l’éclairage ainsi que pour son esthétique », explique Joachim Sieber, l’architecte qui a supervisé la rénovation des lieux. En 1926, c’était même l’un des plus importants bâtiments de la République de Weimar. Presque un manifeste architectural, prémisse du modernisme.
Dépoussiéré, il est redevenu l’une des destinations phares de Düsseldorf, aux côtés des K20 et K21. Une nouvelle circulation a été créée pour les visiteurs, notamment en redonnant son usage à un passage reliant plusieurs corps de bâtiments. Des fenêtres jadis occultées ont permis à certaines salles de retrouver la lumière naturelle. « Nous avons redonné de l’homogénéité à l’ensemble », souligne l’architecte. Trois ans de travaux ont été nécessaires pour un coût total de 50 millions d’euros.
Quand l’actuel directeur des lieux, Felix Krämer, est arrivé voici près de six ans, « il y avait bien sur place Kunst, mais plus Palast [palais] », résume-t-il avec humour. L’état des lieux était déplorable, le parcours touffu. Bref, une belle endormie. Il faut dire que ce musée municipal abrite des collections aussi pléthoriques qu’hétéroclites, allant des arts décoratifs anciens à l’art le plus contemporain… « Nous sommes une version miniature du Victoria & Albert Museum de Londres, avec à la fois de l’art et de l’arts & crafts », explique le directeur. Une partie de la collection (100 000 numéros, dont 90 000 sont des gravures) a été redéployée au fil de 49 salles couvrant une surface de 4 500 m2. De nombreuses œuvres n’étaient pas montrées auparavant. Ainsi, ce printemps s’ouvre une section dédiée aux collections de verreries, de l’ancien au contemporain, « l’une des plus importantes du monde », selon le directeur. L’institution accueille aussi des expositions temporaires, dont l’une consacrée à Tony Cragg (jusqu’au 26 mai), avant une exposition majeure consacrée à Gerhard Richter avec des œuvres issues des collections rhénanes, à partir de septembre prochain. D’ailleurs, le Creamcheese, le fameux bar et lieu d’art créé jadis dans le musée par Gerhard Richter, a été restitué in situ, rappelant les liens étroits qui unissent l’artiste et Düsseldorf, où il fut étudiant puis professeur à l’Académie des beaux-arts. Toujours au chapitre des grandes heures contemporaines de cette importante ville de la Ruhr, une salle est dévolue au groupe Zero, qui y vit le jour… Le visiteur ne manquera pas, par ailleurs, de superbes œuvres de Paul Klee, Kandinsky ou Oskar Schlemmer… Les heures sombres de l’Allemagne ne sont pas passées sous silence, avec entre autres un focus sur l’art et le national-socialisme, ou encore la présence du célébrissime cliché pris par Evgueni Khaldeï en 1945 et montrant un soldat hissant le drapeau de l’Armée rouge sur le toit en ruine du Reichstag…
Plusieurs axes ont guidé le directeur et sa conseillère spéciale, Westrey Page. En particulier l’abandon d’une approche purement chronologique mais aussi « travailler contre les hiérarchisations, donc on ne verra pas ici une salle dédiée aux arts de l’Islam ni à la photo », souligne cette dernière. Objets, sculptures et peintures sont souvent en dialogue au gré des salles. Des thématiques (comme la guerre ou le deuil) irriguent le parcours. Une plus grande place a été faite aux femmes et « aux nouveaux noms », explique le directeur. « La question centrale, c’est de les trouver et de prendre en compte la qualité des œuvres qui est tout aussi importante », dit-il. C’est ainsi qu’est exposée une récente acquisition : un Cupidon enfonçant une flèche dans un vrai cœur humain qu’il tient dans sa main, une iconographie rarissime peinte par Sally von Kügelgen vers 1890 – un nettoyage a permis de découvrir sa signature.
Dans un contexte international de revendications et de restitutions, le musée a par ailleurs « mené d’importantes investigations sur les provenances » pour les objets ou œuvres pour lesquelles il pouvait y avoir des doutes. Un exemple ? Le bois d’une grande porte égyptienne s’est révélé après analyse… d’origine européenne. Les provenances sont désormais affichées sur le site du musée.
Le volet technologique comprend la numérisation en cours des collections – plus de 13 000 numéros sont désormais en ligne – mais également une toute nouvelle application donnant accès à des textes. Elle permet aussi de voir sur son smartphone des parties plus anciennes ou encore restaurées des pièces présentées. Quant aux habitants, une salle leur est réservée, où sont accrochés leurs coups de cœur dans la collection, et où ils expliquent leurs choix. Last but not least, les enfants ne sont pas oubliés, avec une page Internet et quatre salles qui leur sont dédiées.
L’exemple le plus flagrant des rapprochements et décloisonnements opérés pour le nouvel accrochage se trouve sans doute dans une salle très haute de plafond dans laquelle trônent en vis-à-vis une monumentale Assomption de la Vierge par Rubens, datant d’environ 1616, et une œuvre d’El Anatsui de 2003 en capsules de bouteilles, rapprochés pour des questions pratiques d’emplacement mais aussi de palette de couleurs. La toile du peintre flamand est l’un des clous en peinture ancienne, avec un moine peint par Zurbaran. Quant à l’œuvre du Ghanéen, acquise il y a deux décennies, elle était restée dans une caisse depuis, faute de place ! « Il nous serait aujourd’hui impossible d’acquérir une œuvre de l’artiste de cette période ! », souligne le directeur.
L’achat, très tôt, de l’œuvre d’El Anatsui, est dû à la clairvoyance de Jean-Hubert Martin, commissaire d’« Africa Remix » présentée au Centre Pompidou et ici… et ancien directeur, pendant six ans, du Kunstpalast ! « Il a acheté plusieurs œuvres importantes à un moment où elles ne valaient presque rien », observe le directeur actuel.
Aujourd’hui, le budget annuel d’acquisition est de 350 000 euros, complété par les coups de pouce des Amis du musée. Ce budget réduit « nous oblige à ne pas suivre les tendances, car il ne nous est pas possible d’acheter un artiste quand il est devenu très cher. Je ne suis pas convaincu que ce soit d’ailleurs notre rôle de se focaliser sur les grands noms », précise Westrey Page. Point n’est parfois besoin de n’avoir que des grands noms pour faire un grand musée.