Qui êtes-vous Dorothy Dean ? Le livre, édité sous la direction d’Anaïs Ngbanzo, ne répond qu’en partie à la question posée par son titre et, paradoxalement, c’est tant mieux. Car la personnalité à laquelle il s’attache n’est jamais là où on l’attend. Née en 1932 dans une famille africaine américaine où la réussite scolaire est primordiale, Dorothy Dean a très peu produit, ni vraiment artiste, ni exactement actrice, ni totalement écrivaine. Pourtant, elle reste, près de quarante ans après sa mort, une figure unique de l’underground new-yorkais des années 1960-1970.
Dans l’Amérique ségrégationniste, Dorothy Dean, jeune femme au caractère bien trempé, obtient haut la main un master d’histoire de l’art à l’université de Harvard avant de rejoindre New York, où elle est l’une des premières femmes chargées de la vérification des faits à la rédaction du New York Times. Toutefois, souffrant, selon son psy, d’une improductivité crasse, associée à une insoumission radicale, elle est bientôt licenciée de ce poste prestigieux.
Figure camp
Vêtue comme une dame, mais buvant plus que de raison, Dorothy Dean promène sa silhouette gracile et sa morgue dans les soirées à la mode. « Je suis un pédé blanc coincé dans un corps de femme noire », aime-t-elle à répéter avec un sens aigu de la formule. Précisément, elle se désintéresse autant de la cause féministe que de la lutte en faveur des droits civiques auxquelles elle préfère une posture camp. Une posture qui mêle distance et raillerie pour mieux subvertir les normes. Elle fréquente la faune des semi-marginaux qui gravite autour d’Andy Warhol et devient une des rares Africaines-Américaines à prendre part aux activités de la Factory. Ainsi, Andy Warhol, qu’elle surnomme avec ironie « Drella » (contraction de Cinderella – Cendrillon – et de Dracula), la fait tourner dans plusieurs de ses films, dont le mythique Chelsea Girls (1966).
De l’essai biographique signé Emily Wells, en ouverture de l’ouvrage, et de sa correspondance parcellaire avec Ondine, Edie Sedgwick ou Harvey Milk transpirent toute l’intelligence de Dorothy Dean, mais aussi son esprit velléitaire. Les pages les plus réjouissantes sont certainement celles consacrées aux six numéros d’All-Lavender Cinema Courier (1976), bulletin de cinéma rédigé par ses soins, où elle écrit à propos de L’Argent de poche : « Bien que j’ai une grande estime pour François Truffaut, personnellement, je n’ai pas pu être emballée par ce film du fait de son sujet – les enfants. […] On croule sous le nombre de ces créatures. Dieu sait si j’aime les chats, par exemple, et les ouistitis […] mais deux heures non-stop avec rien d’autre que ça est plus que je n’en peux encaisser. » Camp un jour, camp toujours !
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Who Are You Dorothy Dean ?, Paris, Éditions 1989, 2024, bilingue (anglais- français), 246 pages, 21euros.