Emanuel Proweller : Un souvenir de soleil
Au plaisir particulier qu’il y a à voir ou à revoir des tableaux d’Emanuel Proweller (1918-1981) couvrant l’ensemble de sa carrière s’ajoute celui de se livrer au petit jeu des comparaisons avec ce que l’on peignait à Paris ou d’autres capitales de l’art dans les mêmes années. Son développement artistique est à peu près unique. Il n’existe pas de solution de continuité chez lui entre les tableaux nourris de l’exemple de László Moholy-Nagy (Le Manège), d’Amédée Ozenfant ou Joan Miró (Guitariste d’Ukraine) et ceux qui le mettent en phase avec le pop naissant (La Femme au chapeau de plage).
Le pop de Proweller est la poursuite des recherches des avant-gardes appliquées à la France des Trente Glorieuses, dans sa modernité et ses archaïsmes. Tout en restant fidèle à un idéal de pureté formelle et d’harmonie, il dépeint de petites scènes ou des paysages ramenés à quelques signes et de grands aplats de couleurs. Les corps qui font l’amour sont des agencements de formes simples, parfois divisées en différentes couleurs, où le rapport figure-fond est perturbé.
Le Pendu ou Souvenir de l’Occupant, rare tableau dramatique, se fonde sur une composition géométrique avec une double bande bleue et rouge verticale dans la moitié gauche qui coupe un large plan horizontal couleur terre-de-Sienne, et un autre plan plus mince de teinte gris-vert. Une maison dans le bord supérieur droit signale un paysage réduit à la plus simple expression. Le message, c’est un tournesol maigre posé sur l’ombre portée d’un pendu et de sa potence. Cette ombre devrait rejoindre la double bande verticale au-delà du plan du tableau. Les questions d’histoire touchent à des questions de forme.
Du 1er mars au 13 avril 2024, Galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, 36 rue de Seine, 75006 Paris
Benoît Piéron : Poudre de riz
Prenant l’exact contrepied de Joseph Beuys qui convoquait l’image de l’hôpital pour une vision dramatico-mystique, Benoît Piéron en fait une métaphore de l’existence dans un esprit festif. Nous sommes dans la salle d’attente. Sur le mur du fond, accrochée comme un retable, figure une tête de lit tapissée d’un patchwork en draps réformés siglés Assistance Publique H.P. en damier rose et jaune. De chaque côté se trouve un gyrophare coiffé d’un foulard de soie imprimé.
Des draps ou des bouts de draps réformés, on en voit un peu partout : découpés en rubans qu’agite un sèche-mains souffleur ; disposés en un tas informe sur lequel ont été posés deux grands yeux ronds de porcelaine. Avec ces tissus couleur layette, l’artiste veut offrir une approche plus naturelle d’un espace qui fait peur. L’art, comme un accompagnement pour affronter la mort ou l’attendre, si on peut choisir. C’est énorme, excessif, parfaitement construit, et il s’en dégage cependant un sentiment de légèreté.
Dans ce culte un peu sacrilège, des mannequins fessiers portent des sortes de bandages herniaires avec led scintillant à la place du sexe, un magic tree, ce déodorant de voiture, est célébré sur une étagère-autel. On se dit que quelque chose du spirituel dans l’art n’est pas tout à fait perdu, que le dossier est en partie pris en charge par l’A.P.H.P. dont le sigle court à travers toute l’exposition.
Du 2 mars au 20 avril 2024, Galerie Sultana, 75 rue Beaubourg, 75003 Paris
Valérie Jouve : Du temps, un souffle
Des portraits, des arbres, des dolmens, un paysage, voilà ce qu’expose aujourd’hui Valérie Jouve. Les arbres ont fait l’objet d’une longue série s’étalant sur une quinzaine d’années, peut-être une des rares constantes ou obsessions de l’artiste. Le choix, pour la première fois, du noir et blanc change la donne, renforce leur plasticité comme il le fait pour les dolmens. Quand ils ne sont pas le sujet de la photographie, les arbres ou les branches d’arbres enserrent, accueillent les sujets humains qui ont posé devant la chambre. Sans connaître le lien existant entre Valérie Jouve et ses modèles, leurs poses et l’expression de leurs visages suggèrent un moment d’intimité au cours d’une balade, ou d’une après-midi dehors, devant la maison. Des portraits où l’on regarde ailleurs parce qu’on s’abandonne à la situation. On effleure la photo humaniste mais une certaine rigueur documentaire l’emporte malgré tout.
Ensemble portraits, arbres, dolmens et paysage dégagent une impression de sérénité et d’étroite proximité avec la nature. Jamais coupée de l’engagement, Valérie Jouve semble avoir cette fois déplacé légèrement le point de vue, et on croit comprendre le sens du titre donné à l’exposition.
Du 2 mars au 20 avril 2024, Xippas, 108 rue Vieille-du-Temple, 75003 Paris
Philipp Timischl : I’m just gonna change real quick
Une fois franchie la porte de la galerie, on découvre sur notre gauche l’envers d’une paroi de panneaux led avec une ouverture. Quand on entre dans la salle ainsi rétrécie, on découvre sur cette façade un film en plan fixe du quatrième mur qu’il remplace. Ce pourrait être une version actualisée du vide exposé, mais sur le film défile le texte d’un monologue, et on y voit aussi des vues de Paris. C’est la galerie qui parle, qui raconte sa tentative de visiter le Louvre et comment elle s’est vue refuser l’entrée à cause de ses dimensions ou parce qu’elle était trop contemporaine. Délicieusement absurde et touchant.
La galerie est un caractère qui doute. L’unique tableau accroché dans cette première salle le jour de notre visite est un portrait de raton laveur en uniforme de policier (onze portraits de ratons laveurs dans différents rôles sont accrochés par roulement dans l’exposition). Le tableau lui aussi a besoin de se confier par un texte qui défile dans sa partie basse.
Dans une autre salle, ce sont deux tableaux abstraits, vrais-faux jumeaux tachistes ou nuagistes. Chacun d’eux par un bandeau-écran led se livre à une forme d’introspection. Sur l’un des bandeaux défile une série de détails du tableau, sur l’autre la fonction « remplissage d’après le contenu » du logiciel engendre un processus de métamorphose infini.
À ces deux tableaux fait écho, dans l’espace suivant, la peinture de deux culturistes dont les bustes fusionnent sous une barre d’haltère partagée.
Difficulté à être galerie, tableau ou humain, à connaître ses limites. Questions posées à l’art et à sa médiation en un scénario où se nouent concepts et sensations.
Du 2 mars au 13 avril 2024, High Art, 1, rue Fromentin, 75009 Paris