L’artiste américain d’origine grecque Lucas Samaras, qui est resté inclassable durant les six décennies de sa carrière, est décédé le 7 mars à son domicile de Manhattan, à l’âge de 87 ans, des suites de complications liées à une chute. Son décès a été confirmé par la Pace Gallery, qui le représentait depuis plus de cinquante ans.
Lucas Samaras a émergé sur la scène artistique du quartier de Downtown à New York dans les années 1950 et s’est fait connaître pour ses œuvres autoréférentielles utilisant une multitude de médias : peintures, photographies, installations, dessins, sculptures…
Né en 1936 à Kastoria, en Grèce, il a immigré aux États-Unis en 1948, où sa famille s’est installée à West New York, dans le New Jersey. Il a été élevé dans la religion orthodoxe grecque, qui a influencé sa pratique. Samaras ne parlait pas anglais lorsqu’il s’est installé aux États-Unis. Il dessinait et peignait à l’école, où ses professeurs l’encourageaient à poursuivre dans la voie de la création artistique. Il entretenait une relation conflictuelle avec son père, fourreur, pour lequel il a travaillé pendant une courte période de sa vie et qui désapprouvait sa vocation d’artiste.
Samaras a étudié l’histoire de l’art à l’université de Columbia à New York sous la direction de l’influent historien de l’art Meyer Schapiro en 1959, mais il n’a pas obtenu son diplôme, poursuivant sa formation d’acteur au Stella Adler Studio of Acting. Il avait auparavant étudié l’art à l’université Rutgers de New Brunswick, dans le New Jersey, entre 1955 et 1959. Il s’était inscrit à ce programme d’art grâce à une bourse obtenue à l’issue d’un concours organisé par son lycée.
Parmi ses professeurs à l’université Rutgers figuraient les artistes George Segal et Allan Kaprow, ce dernier étant président du département lorsque Samaras s’est inscrit. Il a participé à plusieurs des Happenings organisés par Kaprow dans les années 1950 – des œuvres conceptuelles qui combinaient installation et performance, et qui faisaient appel à sa formation d’acteur –, comme 18 Happenings in 6 Parts (1959) à la Reuben Gallery, gérée par des artistes. Samaras a également rencontré à l’université Rutgers un autre étudiant, Robert Whitman (1935-2024), un artiste avec lequel il collaborera tout au long de sa carrière.
L’une des premières expositions importantes de Samaras s’est tenue en 1964 à la Green Gallery, enseigne historique de New York, où il avait recréé sa chambre et son atelier après avoir été contraint de déménager de la maison de son enfance. Dans une série d’auto-entretiens réalisés dans les années 1970, Samaras a expliqué qu’il se servait de lui-même comme point de départ de sa pratique parce que ce n’était « pas encore orthodoxe » et que c’était un moyen de contourner « tous les types de relations étrangères » qu’implique la recherche de modèles, d’ouvriers ou d’éléments géométriques comme référence.
Au début de sa carrière, Lucas Samaras a réalisé plusieurs peintures et pastels abstraits, dont certains ont fait l’objet de dons à la Morgan Library and Museum de New York. Après avoir délaissé la performance, il s’est mis à créer du box art – sculptures dans des boîtes – et des assemblages influencés par le surréalisme. À partir de 1966, il a commencé à concevoir des œuvres immersives dans lesquelles les visiteurs peuvent pénétrer, en recouvrant la structure de verre et de matériaux réfléchissants, dans un style similaire à celui de Yayoi Kusama, qui avait créé sa première Infinity Room peu de temps auparavant, en 1965. À la fin des années 1960, il utilise un appareil photo Polaroid, puis crée des peintures photographiques hybrides et d’autres formes de photographies transformées.
Lucas Samaras a déclaré un jour que, bien qu’il ne se soit jamais senti obligé de s’en tenir à un format ou à une direction particulière, il existe dans son travail des corrélations subtiles enracinées dans la perspective, l’émotion et l’identité. « Des gens passent des années et des années à travailler sur un format particulier ; je ne fais pas ça, je ne peux pas faire ça, a-t-il déclaré dans un entretien accordé à Artforum en 1966. Je suppose que c’est lié au fait que je retravaille ce qui semble être la réalité. »
« Je vois le monde différemment à différents moments, ajouta-t-il. Parfois c’est agréable, parfois cela ne l’est pas, et par conséquent le travail change. Ce que je fais change, la qualité de ce que je fais diffère, de sorte que je ne m’intéresse pas seulement au problème formel. Je m’intéresse au problème psychologique, biographique ou social. »
En 2022, la Pace Gallery a organisé l’exposition « Albums » dans son espace principal de New York, qui présentait son projet de constituer des archives illustrées sur plusieurs années. La galerie a publié Flowers l’an dernier, un volume présentant une série de distorsions numériques psychédéliques.
Avant sa mort, Lucas Samaras préparait une grande exposition qui ouvrira en septembre prochain à la Dia Beacon, dans le nord de l’État de New York, et dont la pièce maîtresse sera un ensemble de sculptures minimales intitulé Cubes and Trapezoids (1993-1994). La Dia a acquis cette série de 24 sculptures totémiques en bois en 2003 et les exposera ensemble pour la première fois depuis leur première présentation chez Pace, à New York, en 1994. L’exposition présentera également une pièce immersive en miroir, intitulée Doorway (1966-2007).
Les œuvres de l’artiste sont conservées dans de grandes collections muséales internationales telles que celles du Buffalo AKG Art Museum, du Metropolitan Museum of Art, du Museum of Modern Art, du Whitney Museum of American Art (tous trois à New York), de l’Art Institute of Chicago, de la Tate à Londres et de l’Iwaki City Art Museum au Japon. En France, le Centre national des arts plastiques, le Centre Pompidou et le LaM à Villeneuve-d’Ascq ont acquis ses œuvres. Il a représenté la Grèce à la 53e Biennale de Venise en 2009. Cette même année, lors d’un entretien avec Arne Glimcher, fondateur de la Pace Gallery, Lucas Samaras avait décrit le processus de création de ses nouvelles œuvres comme une quête de la découverte de liens avec le passé.
« Lorsque j’entreprends une œuvre et que je m’aperçois que je fais quelque chose de différent de ce que j’ai fait auparavant, invariablement, j’en fais deux, trois, quatre, peu importe, et puis je m’aperçois, tout à coup – c’est comme une cloche qui sonne – que l’œuvre que je viens de faire a des liens avec le passé », avait-il déclaré. « Je me souviens d’une ambiance qui régnait dans une peinture d’untel ou d’untel dans les années 1400 ou 1780, vous voyez ce que je veux dire ? Et quand je vois cela, c’est pour moi l’indication d’une piste intéressante. Cela signifie que je me connecte à quelque chose de réel, à quelque chose qui s’est produit, à quelque chose qui a une substance automatique. Et ces allusions au passé m’époustouflent. »