Lorsque la Russie a lancé son invasion de l’Ukraine en février 2022, elle a assiégé Marioupol, une ville portuaire stratégique située dans l’est du pays. Des milliers de personnes ont été tuées alors que les bombes et l’artillerie détruisaient des habitations, des musées et le théâtre local. Les autorités russes ont annoncé leur intention de commémorer la destruction de la ville occupée dans le Donbass – qu’elles imputent à l’Ukraine – en créant un nouveau « musée de la libération de Marioupol », dont l’ouverture est prévue pour l’été 2024.
Alors que l’invasion entre dans sa troisième année, ce « musée de la libération » fait partie d’une campagne du Kremlin visant à faire des musées des lieux de propagande de guerre, à la fois en Russie et dans les régions occupées de l’Ukraine, que les responsables russes appellent « nouveaux territoires de la Russie » ou Novorossia, un terme colonial datant de l’époque tsariste.
S’exprimant le 30 janvier lors d’une conférence tenue dans le parc des expositions de l’ère stalinienne du VDNKh à Moscou, Olga Lioubimova, ministre russe de la Culture, a déclaré que les musées seraient « consacrés à l’histoire moderne du Donbass et de la Novorossia » – l’agence de presse TASS a rapporté ses propos et utilisé l’orthographe russe de Donbas – et comprendraient « des objets authentiques, des documents, des matériaux dédiés au développement de notre pays et à la préservation de la mémoire des exploits de nos compatriotes ».
Le VDNKh a été transformé en vitrine de l’idéologie du Kremlin et a servi de rampe de lancement, en décembre 2023, à l’actuelle campagne présidentielle de Vladimir Poutine. Les élections sont prévues du 15 au 17 mars 2024, un improbable second tour étant fixé au 7 avril. En 2015, le VDNKh a été le premier site du « parc historique » Russia – My History, dirigé par l’archimandrite Tikhon Chevkounov, un puissant évêque orthodoxe russe. « Les expositions basées sur ces matériaux méthodologiques sont présentées dans des musées régionaux et municipaux, des bibliothèques et des espaces publics, aurait déclaré Olga Lioubimova lors de la conférence. Plus de 1 800 projets ont déjà été [lancés] dans des musées. En 2024, au moins 450 expositions supplémentaires seront présentées dans tout le pays. »
The Art Newspaper a pris connaissance d’un document de 28 pages intitulé Recommandations méthodologiques pour la création d’expositions consacrées à l’histoire de l’opération militaire spéciale dans les musées de la Fédération de Russie. L'« opération militaire spéciale », abrégée en russe par SVO, est le terme officiel utilisé par le Kremlin pour désigner la guerre en Ukraine.
Ces « recommandations méthodologiques » comprennent des expositions de musées montrant que la SVO était nécessaire pour protéger la « population russophone » de « l’agression militaire menée dans le Donbass » par l’Ukraine « depuis avril 2014 », et « pour protéger la Fédération de Russie d’une attaque imminente des forces armées de l’Ukraine ».
Le document a été réalisé par le ministère russe de la Culture, le musée central d’État d’histoire contemporaine de Russie et la Société historique russe en réponse à l’ordre donné par Vladimir Poutine en avril 2023 de créer dans tout le pays des musées consacrés à la guerre de la Russie contre l’Ukraine.
« L’un des facteurs les plus importants pour assurer l’unité et la consolidation de la société russe à l’intérieur du pays est la préservation de la continuité des valeurs spirituelles et morales et la protection de la vérité historique », indique le document. Pour ce faire, il convient de créer des « musées [et des expositions] consacrés à son histoire » et d’exposer des artefacts qui sont au cœur de cet effort. Le gouvernement ukrainien est qualifié de « régime nazi » et la Novorossia de « partie intégrante de l’histoire de la Russie depuis la fin du XVIIIe siècle ».
Parmi les recommandations concernant les expositions et les objets à présenter dans les musées de la SVO, figurent : « armes légères, etc. (en particulier les armes blanches portant des symboles nazis), y compris la production étrangère » ; « jouets d’enfants portant des traces de sang, jouets endommagés (poupées, voitures, etc.) » ; « instruments de torture » ; « munitions interdites de l’Ukraine et de l’OTAN (neutralisées) ; fragments de munitions et de missiles ».
Le musée historique d’État situé sur la place Rouge à Moscou a organisé une grande exposition sur la Novorossia en 2023, depuis le règne de la Catherine II de Russie, dite Catherine la Grande, jusqu’à la SVO. Selon la description du musée, l’Ukraine indépendante post-soviétique était en train de se transformer en « anti-Russie » et « lançait le processus de nazification, de militarisation et d’entrée dans l’OTAN ». Le directeur du musée, Alexeï Levykin, a envoyé des employés dans la région de Louhansk occupée par la Russie pour collecter des objets.
Mikhaïl Piotrovski, directeur du musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, a déclaré en décembre à la chaîne russe RBC que l’Ermitage « s’efforçait de contribuer à la restauration des musées dans les nouveaux territoires », y compris à Marioupol.
[Mikhaïl Piotrovski figure sur la liste des proches du régime de Poutine sanctionnés par le Canada pour son soutien à l’invasion de l’Ukraine. « La Russie détruit systématiquement la culture ukrainienne dans le cadre de sa violation permanente de la souveraineté et de l’intégrité de l’Ukraine », dénonçait un texte publié en août 2023 dans la Gazette du Canada, justifiant les sanctions engagées à son encontre, NDLR].