Devenue en quelques années une référence dans le domaine des expositions de photographie à Bruxelles, la programmation internationale du Hangar constitue le moment fort du Photo Brussels Festival, manifestation lancée par cette même structure et dont la 8e édition se déroule jusqu’au printemps.
Sa directrice, Delphine Dumont, a toujours veillé à ancrer ses expositions dans l’actualité la plus brûlante, tout en privilégiant un regard distancié, celui que la photographie documentaire ou d’auteur peut apporter face à l’immédiateté du reportage à chaud. Ce fut déjà le cas lors de l’édition 2021 consacrée au premier confinement consécutif à l’épidémie de covid (« The World Within »), tandis que celle de 2022 se penchait sur l’écologie (« À l’ombre des arbres »).
Cette année, « Generations of Resilience », consacrée à la scène ukrainienne, se décline en trois chapitres transgénérationnels : les photographes dits « historiques » (nés dans les années 1940 et 1950) – avec Boris Mikhaïlov en figure de proue – ; celle des photographes contemporains âgés d’une quarantaine d’années ; et enfin celle des étudiants de moins de 20 ans, dont les premiers travaux, immanquablement immergés dans la guerre, sont montrés sous la forme de projections.
L’exposition tisse des liens de filiation entre ces trois générations. Qu’elles soient spirituelles, esthétiques ou formelles, ces filiations se nourrissent toutes à un esprit de contestation d’une part, de résistance et de défense de l’autre, face à la censure soviétique à l’époque ou à l’invasion russe d’aujourd’hui. La photographie du conflit a pris place dans leur œuvre comme la guerre s’est immiscée dans leur vie depuis deux ans maintenant. Il y a un avant et un après, mais surtout un pendant, vécu avec une insoumission poignante dont témoignent leurs images récentes.
Un festival de convergences
Dans son ensemble, le festival se déploie plutôt comme une convergence d’agenda d’expositions et ne possède pas, du moins pour l’instant, de thématique particulière. Il rassemble dans une bonne cinquantaine de lieux les plus divers des expositions à temporalité variable, allant de galeries spécialisées ou non en photographie (Box, Christophe Gaillard, Felix Frachon, La Forest Divonne, Hopstreet, Irène Laub, Lee-Bauwens, LMNO, Stieglitz19, etc.) à divers centres d’art et autres initiatives privées.
Les générations émergentes et innovantes ont toujours fait partie du programme du festival, à l’instar de l’une des plus singulières de cette édition, l’exposition collective « Matière critique » proposée à l’ISELP. Prenant le contrepied de l’inexorable progression de la discipline vers le numérique, huit jeunes artistes explorent ici l’aspect physique de la photographie en s’interrogeant sur la nécessité d’encore produire des images dans un monde qui en est saturé. Processus longs en laboratoire, recours à des techniques artisanales ou oubliées, les artistes sélectionnés par la commissaire Marie Papazoglou dessinent un panorama d’une autre photographie plasticienne, où les accidents et les aléas font partie intégrante du déroulement créatif.
On retrouve ce type de démarche dans l’exposition « C.L.I.C.H.É.S. » (chez Elevensteens) ou les trois artistes invités (Nicolas K. Feldmeyer, Me is Niza, Ilan Weiss) associent la présence ou l’expérience de leur corps à l’image photographique. Le corps est également mis en avant dans l’importante exposition que l’espace Cloud Seven consacre à Kinshasa (République démocratique du Congo), autour d’un duo qui a capté les ambiances de la ville et ses habitants à soixante ans d’intervalle. Les nuits vibrantes, les femmes séduisantes et les culturistes de la capitale congolaise ont été immortalisés, dans de somptueux tirages en noir et blanc, par Jean Depara (1928-1997) dans les années 1960. L’actuelle métropole, beaucoup plus chaotique, fait l’objet de troublantes mises en abîme où les figures s’incrustent dans le paysage urbain sous l’œil d’Alain Nzuzi Polo.
Considérée par beaucoup comme l’une des révélations de cette édition, la rétrospective que la Fondation A consacre au photographe gantois Jacques Sonck revient sur une œuvre que la directrice des lieux, Astrid Ullens de Schooten, définit comme « unique et cohérente, qui ne témoigne pas seulement d’un certain esprit du temps, mais aussi d’une incontestable belgitude ». En effet, le photographe n’a cessé de documenter la vie et l’attitude des gens qui vivent autour de lui, quelle que soit leur diversité sociale ou culturelle. Actif depuis plus de quatre décennies, il a photographié autant d’époques dans un style épuré, héritier en quelque sorte de Diane Arbus et August Sander.
« Générations of Resilence (22 Ukrainian Photographers) », jusqu’au 23 mars 2024, Hangar, 18 place du Châtelain, 1050 Bruxelles, www.hangar.art
« Matière critique - Explorations photographiques », jusqu’au 23 mars 2024, ISELP, 31 boulevard de Waterloo, 1000 Bruxelles, www.iselp.be
« Jacques Sonck. Portraits 1977-2019 », jusqu´au 31 mars 2024, Fondation A, 304 avenue Van Volxem, 1190 Bruxelles, www.fondationastichting.com
« Kinshasa 1960’s-2020’s - Jean Depara & Alain Polo Nzuzi », jusqu’au 28 avril 2024, Cloud Seven, 7 quai du Commerce, 1000 Bruxelles, www.cloudseven.be
« C.L.I.C.H.É.S. », jusqu’au 26 mai 2024, Elevensteens, 11 rue Steens, 1060 Bruxelles, www.elevensteens.com