Dans les couloirs de la Tefaf (The European Fine Art Fair) de l’édition 2023, il se murmurait qu’à la suite du dîner de gala AXA XL, lequel s’était tenu la veille du vernissage, un collectionneur aurait fait des « emplettes » pour 25 millions d’euros. Vrai ou faux ? Ce qui est sûr, c’est qu’avant l’ouverture du premier vernissage, qui a eu lieu le jeudi 9 mars, à 11 heures du matin, certains marchands ont été réveillés « aux aurores » par les appels téléphoniques d’acheteurs pris de panique d’être devancés par d’autres. Dès lors que nombre d’exposants divulguent en amont, sur leurs stories Instagram, des photographies, ou même des visites virtuelles de leur stand, une véritable course de vitesse s’installe.
Et paradoxalement, les images des deux œuvres majeures des XVIIe et XIXe siècles (hors compétition et acceptées bien sûr par le vetting) de la Tefaf 2023 n’ont jamais « fuité ». Elles sont demeurées cachées à l’abri des regards, dans les placards des deux marchands qui n’ont ouvert les portes qu’à quelques initiés. À la Tefaf, il y a ce que l’on voit et ce que l’on ne voit pas. Comme les points rouges que Paul Smeets, le responsable de la section peinture de la Foire, se refuse, pour des raisons esthétiques, d’apposer sur les cartels des œuvres qu’il vend. D’autres marchands passent dix jours à expliquer à qui veut l’entendre qu’ils sont en discussion au sujet de leurs œuvres phares, cédées dès le premier jour. Pour être heureux, vivons cachés…
UNE ÉDITION EXTRÊMEMENT DENSE
Cette année encore, l’effervescence de la Foire va crescendo au cours des dernières semaines précédant l’ouverture. Or, comme l’indique un Français, qui préfère ne pas divulguer son nom pour des motifs que nous imaginons sans peine : « Tous les dés sont lancés à l’avance. Un excellent marchand sait trois semaines avant le vernissage s’il réussira son édition. Il sait ce qu’il présente, ce qu’il a découvert pour démontrer le caractère rarissime des objets qu’il défend, et ce qu’il désire en demander. Ceux qui se lamenteront deux jours après le vernissage savent déjà, au fond d’eux-mêmes, et bien qu’ils espèrent un miracle, qu’ils n’ont pas les reins assez solides pour cette édition. Ceux qui arrivent l’esprit léger s’attendent à ce qu’il existe deux ou trois clients susceptibles d’acquérir, dès le jeudi 7 mars, entre 11 heures et 19 heures, leurs pièces majeures, sélectionnées parfois des années en amont et conservées secrètement. Il y a des surprises, et c’est tout l’intérêt d’une foire, mais le marché de l’art ment rarement : montre-moi ce que tu exposes, et je te dirai où tu en es dans ta vie de marchand, et dans ta vie personnelle aussi d’ailleurs. »
Les efforts déployés pour préparer une Tefaf 2024 extrêmement dense semblent remarquables, et tous les signaux au beau fixe. Parmi les stands les plus attendus, encore une fois, les Français risquent de sortir du lot. À la galerie Kugel (Paris) est présentée une aiguière aux armes du génois Pallavicini, laquelle a appartenu au baron Carl Mayer von Rothschild, ainsi qu’un reliquaire français des années 1570 orné de diamants, de perles et de rubis. Benjamin Steinitz (Paris) propose un vase à godrons inédit issu des collections de Louis XIV. Chez les Chenel (Paris) sont exposés nombre d’antiques affichant des origines exceptionnelles, tel le camée figurant le Romain Agrippa Postumus provenant de Blenheim Palace (Oxfordshire, Angleterre), cédé lors de la vente de la collection Marlborough en 1875, et qui n’était pas réapparu depuis un demi-siècle. Les Italiens ne sont pas en
reste, d’Alessandra Di Castro (Rome) à Filippo Benappi (Londres), tout comme la galerie Lullo • Pampoulide, ouverte à Londres en 2016 par Andrea Lullo et Andreas Pampoulides, laquelle ne devrait pas tarder à « faire la pluie et le beau temps » dans le domaine de la peinture et de la sculpture ancienne. Dans ce stand, les amateurs devraient découvrir « LE » tableau XVIIe dont tout le monde va parler au cours de la Foire. Et il y a de fortes chances pour que l’autre tableau qui intriguera toutes et tous soit le Portrait d’Antonietta Gonsalvus, la petite fille à la barbe, peint par l’Italienne Lavinia Fontana (1552-1614) ; une toile qui avait fait les belles heures de la vente-garden-party de la maison Rouillac au château d’Artigny (Indre-et-Loire), en juin 2023, et que devrait présenter une enseigne fort réputée…
LA JEUNE GARDE
La Tefaf est un alambic où la chimie des rencontres opère et crée des passerelles, un atout de poids pour la jeune génération de marchands qui songe moins à jouer des coudes qu’à cultiver l’esprit d’équipe. Chaque nouvelle édition, les professionnels guettent les deux exposants présents dans le Showcase de l’année précédente qui ont été sélectionnés pour faire leur entrée officielle à la Tefaf. C’est le cas de la galerie Zebregs&Röell Fine Art and Antiques (Amsterdam et Maastricht), spécialisée dans l’art colonial, la cartographie, les objets exotiques, l’histoire naturelle et la taxidermie du XVIe au XIXe siècle ainsi que l’âge du colonialisme et des explorations. Les amateurs vont y découvrir notamment, dans une section dédiée aux représentations de noirs, un portrait de jeune africain de la cour suédoise, autrefois dans les collections de Louisa Ulrika de Prusse, reine de Suède. L’autre sujet important de cette édition est les femmes artistes, auxquelles un certain nombre de marchands d’art ancien rendent honneur, dont quelques grands noms – tels les New-Yorkais Adam Williams Fine Art et Wildenstein & Co.
L’un des acheteurs les plus actifs, Jean-Patrice Marandel, ancien conservateur en chef des départements européens des musées de Providence, Chicago, Houston, Détroit et Los Angeles, aux États-Unis, qui travaille désormais à la constitution d’un musée privé européen s’amuse de ce que révèle une édition de la Tefaf : « Une fois de plus, une foule d’amateurs et de collectionneurs se retrouve à Maastricht – pour une petite semaine cette année –, le centre temporaire du marché de l’art en Europe. Les marchands, ceux qui sont solidement établis autant que les jeunes “lions”, et les tout nouveaux autorisés pour la première fois à exposer dans ce temple de l’art et du commerce, ont jalousement gardé leurs trouvailles de l’année, les œuvres exceptionnelles – selon eux du moins –, qu’ils vont dévoiler à un public international d’amateurs qualifiés. Pour les uns, leur convoitise se portera sur l’objet rare, pour d’autres sur l’objet curieux. Dans le tourbillon de la manifestation, le goût, la qualité et l’histoire se conjuguent. Les décisions doivent souvent se faire rapidement, ne permettant ni l’hésitation ni l’ignorance. Les gagnants sont ceux qui savent jongler, écouter, apprendre et qui ne suivent que leur goût. » Au fond, c’est peut-être la seule arme dont doit disposer quiconque passe la barrière de sécurité de la Tefaf, et c’est la plus rare !
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Tefaf Maastricht, 7/9-14 mars 2024, MECC, Forum 100, 6229 Maastricht, Pays-Bas.