Anselm Kiefer : For Jean-Noel Vuarnet
Terre et feu sont si naturellement associés à l’œuvre d’Anselm Kiefer, qu’on oublie généralement à quel point l’aquarelle y joue un rôle déterminant. Celles réunies ici (datées de 2013 à 2017) en un hommage à Jean-Noël Vuarnet sont de nature érotique. Dans son livre Extases féminines, le philosophe et essayiste analysait le thème à partir d’écritures de grandes mystiques et de représentations de saintes en pâmoison. Dans les quelques œuvres où il semble dialoguer avec l’ami disparu, Kiefer donne ses visions de la jouissance féminine, associée à des motifs floraux, et y joint, comme en écho, quelques noms : sainte Lutgarde, Catherine de Ricci, Baptiste Varani. Avec une égale liberté, l’artiste s’empare de figures de la mythologie, peignant ici la naissance d’une Vénus aux cuisses largement ouvertes (« Happy as a clam », écrit Liz Rideal dans son texte introductif), là une Danaé en bas noirs éclaboussée d’or. Comme toujours chez lui, peindre est aussi un acte de lecture. En témoignent cette rêverie née d’Adalbert Stifter ou cette série de femmes qui extatiquement fusionnent avec le marbre des falaises. Ces œuvres sont autant exaltation des sens que célébration d’un médium propice aux surgissements et aux métamorphoses. Vision d’un Kiefer heureux.
Du 24 janvier au 2 mars 2024, White Cube, 10 avenue Matignon, 75008 Paris
Giulia Cenci : Secondary Growth
Tournée vers la vitrine, une longue et presque menaçante branche d’arbre en fonte d’aluminium s’incline en direction des passants. Cette branche maîtresse est dotée de quelques pattes, ou quelques côtes, et semble sortir d’une pièce de moteur automobile tel le djinn de sa lampe. Avec elle et trois autres branches latérales, plus petites, Giulia Cenci a construit sa scène. La botanique nous dit qu’au cours de la croissance secondaire les corps étrangers peuvent être avalés par la branche ou la racine.
Les trois branches d’aluminium (l’une d’elles doublée d’une branche authentique) s’inclinent-elles aussi. Deux d’entre elles portent à leur sommet des masques de théâtre et la troisième une tête de loup. On remarque à l’intérieur de celle-ci de fines tiges de fer et un câble d’acier qui joignent la mécanique au végétal et à l’animal. L’espace de Giulia Cenci est un laboratoire qui puise ses aliments dans les jardins et dans les casses. Ces branches faites de tronçons raboutés pourraient figurer des créatures ou esprits des forêts dans les seules limites fixées par notre imagination. Vision teintée de merveilleux sur un monde en mutation où l’humain devra chercher sa place.
Du 20 février au 2 mars 2024, MassimoDeCarlo Pièce Unique, 57 rue de Turenne, 75003 Paris
Farnood Esbati : Lignes de Vie
Diagnostiqué très tôt du syndrome d’Asperger, Farnood Esbati ne cesse depuis l’enfance de dessiner ; travail d’observation qui au fil des ans s’est également nourri de ses nombreuses lectures. La perspective est rabattue sur le plan de la feuille, les contours des figures le plus souvent étirées et reliées aux objets ou meubles qui leur sont liés plutôt qu’ils ne les entourent. Autant les humains et les arbres se résument à un trait et se rapprochent d’une écriture, autant les paysages ruraux ou urbains sont nourris avec insistance de détails d’une extrême précision : flux ou courants d’herbes, soulèvements de tuiles ou de dallages qui font parfois se rejoindre l’horizontale et la verticale. C’est comme si, dans la narration, des portions de paysage s’imposaient à la vue et fixaient l’attention. Ces zones d’intensité prodigieuses suggèrent que la rue ou le champ se soulèvent, à côté d’étendues vides qui offrent de l’air et une respiration. Des arbres au bord de la route, des baigneurs ou pêcheurs dans le courant d’une rivière, des chaînes d’individus dans un champ s’offrent alors comme les marqueurs de récits où tout semble étroitement uni.
Du 8 février au 30 mars 2024, Christian Berst Art Brut, 3-5 passage des Gravilliers, 75003 Paris
Michel Dector : Entre la lune et l’herbe
L’entrée de Michel Dector en peinture s’est faite avec le choix d’un support : le drap de lit ; d’un motif : le 1 en chiffre arabe ; et d’une technique : la projection de peinture à la bombe sur ce motif masqué par un adhésif de manière à le faire apparaître ensuite comme réserve. En d’autres temps, chacune de ces décisions aurait été mise en avant comme positionnement politico-théorique. Aujourd’hui, on est tenté d’y voir un rappel de ces temps, mais sans nostalgie. Une vitesse d’exécution qui libère des poudroiements de couleur et révèle la beauté de plis.
Cette deuxième exposition en solo est marquée par quelques changements. Certains des draps ont été tendus sur châssis et le 1 n’est plus le motif exclusif. On le voit encore porter une croix, soutenir un empilement de formes suggérant des objets ou se multiplier en quatre pour faire le tour d’un zéro. À côté de cela, Michel Dector a produit des arrangements ou des superpositions de lignes droites qui évoquent par leur rayonnement des barres en néon, mais a aussi dessiné un citron, une main ou un nu tout en courbes. À l’intérieur d’un système contraignant, l’artiste livre sa version de différents genres, vision spectrale d’une galerie de peintures.
Du 23 janvier au 9 mars 2024, Galerie Laurent Godin, 36 bis rue Eugène Oudiné, 75013 Paris