Après la prestation de serment de l’ancien président du Conseil européen, Donald Tusk, en tant que Premier ministre polonais, son nouveau gouvernement de coalition centriste s’est très vite attaqué à détricoter une décennie de gouvernement de droite. Outre les réformes des médias d’État qui ont fait la une des journaux et de batailles juridiques et constitutionnelles acharnées, les institutions artistiques sont aussi atteintes par le vent du changement.
L’institution la plus touchée est la galerie nationale d’art Zachęta à Varsovie, un centre majeur d’art contemporain et moderne, qui gère également le Pavillon polonais à la Biennale de Venise. Le 21 décembre 2023, le nouveau ministre de la Culture, Bartłomiej Sienkiewicz, a limogé le directeur de la galerie Zachęta, Janusz Janowski, dont la nomination par l’ancien gouvernement Droit et Justice (PiS) il y a seulement deux ans avait suscité un tollé. Une semaine plus tard, le ministère de la Culture a révoqué la sélection officielle de la Pologne pour la Biennale de Venise 2024, une exposition d’Ignacy Czwartos qui avait été approuvée par un jury présidé par Janusz Janowski à la fin du mois d’octobre 2023.
Ignacy Czwartos a déclaré à The Art Newspaper qu’il considérait l’annulation de son projet, une exploration de « l’histoire tragique » de la Pologne entre l’Allemagne nazie et la Russie soviétique, comme un acte de « censure ».
Mais Joanna Andrusko, ancienne directrice de la communication de la galerie Zachęta, estime que les changements rapides mis en place par le gouvernement Tusk ont déclenché un « sentiment de soulagement » et « une atmosphère générale d’espoir dans la communauté culturelle ». Elle souligne que l’exposition d’Ignacy Czwartos avait suscité de nombreuses réactions négatives, y compris de la part de certains membres du jury, en raison de sa proximité avec le programme de droite du gouvernement PiS.
Outre la participation de la Pologne à la biennale internationale d’art la plus médiatisée au monde, le ministère de la Culture prépare également la réorganisation des organismes chargés de la promotion de la culture polonaise à l’étranger. Le 11 janvier, il a annoncé que l’Institut Adam Mickiewicz, qui organise des programmes d’échanges culturels internationaux, fusionnerait avec une autre entité gouvernementale, le Biuro Niepodległa, dont les activités et les subventions célèbrent l’indépendance de la Pologne. Certains observateurs estiment que cette fusion conduira à la destitution d’une autre personne nommée par le PiS, Barbara Schabowska, actuelle directrice de l’Institut Adam Mickiewicz.
Rétablir la crédibilité internationale
Ces mesures témoignent de la volonté du nouveau gouvernement de restaurer la crédibilité culturelle internationale de la Pologne après des années de conflit, mais elles reflètent également la pression exercée par certains membres de la communauté artistique polonaise pour que soient abandonnées les mesures prises par le régime de droite précédent, le PiS.
Michał Suchora, galeriste et porte-parole du parti polonais Zieloni (Verts), qui fait partie de la coalition gouvernementale, se félicite que le nouveau ministre de la Culture soit intervenu « si rapidement et si efficacement » dans le dossier de la galerie nationale d’art Zachęta et du Pavillon de la Biennale de Venise, affirmant que cela « lui donne de la crédibilité dans le monde de l’art ». Michał Suchora fait partie des personnalités artistiques polonaises qui font pression pour que de nouveaux changements soient opérés à la tête d’institutions telles que le Centre d’art contemporain du château Ujazdowski à Varsovie et le Muzeum Sztuki à Łódź. De nouveaux directeurs ont été nommés à la tête de ces deux musées sous le gouvernement PiS, qui avaient provoqué la consternation dans la communauté artistique.
Cependant, certains ne sont pas satisfaits de la manière dont les récents changements ont été gérés. Selon Jakub Dąbrowski, professeur à l’Académie des beaux-arts de Varsovie, le gouvernement a eu tort de mettre un terme au projet de Czwartos pour Venise. « Czwartos a remporté un concours organisé en bonne et due forme et sa révocation, à mon avis, n’est pas légale, a-t-il protesté. Cela donne incontestablement l’impression d’une censure, alimentant les théories du complot parmi les partisans du PiS et créant des martyrs d’extrême droite. » Les actions du gouvernement Tusk risquent d’alimenter une « mythologie conservatrice » qui sera « exploitée par la droite dans les conflits politiques, ajoute-t-il. Il est préférable de renoncer à des bénéfices ponctuels à court terme pour obtenir des résultats à plus long terme. »
Contrôle politique de la culture
Par rapport aux pays dotés de systèmes de financement des arts « indépendants », les hommes politiques polonais ont toujours exercé un contrôle plus important sur les principales institutions culturelles. Pourtant, la culture est rarement une question politique de premier plan. Selon Jakub Dąbrowski, le nouveau ministère de la Culture sera donc en mesure de faire passer des changements politiques avec une relative facilité.
Alors que « la majorité de la communauté artistique polonaise perçoit les huit années de gouvernement du PiS comme autant d’années d’humiliation », Jakub Dąbrowski souligne que les interventions culturelles du gouvernement Tusk sont bien moins importantes pour le reste de la société polonaise que « les batailles actuellement menées concernant le système judiciaire, le ministère public, les médias publics et les services de renseignement ».
Malgré cela, Joanna Andrusko estime que le gouvernement « répond aux voix de la communauté culturelle » et espère qu’il tirera les leçons du passé. Elle ajoute que la branche polonaise du Conseil international des musées (ICOM) recommande des amendements à la législation nationale qui « visent à garantir une plus grande indépendance des institutions et à les protéger contre l’impact direct de l’évolution des contextes politiques ».
En écho à la nécessité d’une nouvelle réglementation, Michał Suchora indique que le parti des Verts plaide pour que des « concours internationaux ouverts pour des postes tels que ceux de directeurs de musées et de théâtres » soient obligatoires à l’avenir.
Il ne sera toutefois pas facile de parvenir à un changement durable. Selon Joanna Wasilewska, ancienne directrice du musée de l’Asie et du Pacifique de Varsovie, la propension à l’ingérence politique est profonde et touche autant les régions que les institutions nationales. Son licenciement en septembre, qui a suscité des protestations de ses collègues internationaux, a été orchestré par des politiciens régionaux du Parti populaire polonais et de la Plate-forme civique (PO), le parti de Donald Tusk, et non le PiS.
« Les institutions culturelles nationales, qui dépendent directement du ministère de la Culture, jouissent d’une plus grande visibilité, en particulier auprès des médias, de sorte que le débat public qui les entoure est plus important et ouvertement politisé, constate Joanna Wasilewska. Cependant, la majorité des musées et autres organisations culturelles sont gérés par des autorités municipales et locales, et à ce niveau, il y a beaucoup de cas d’interventions politiques et personnelles : des pressions et des influences informelles, des décisions non transparentes. Il s’agit là d’un défi de taille, car il ne dépend pas des couleurs politiques. Des représentants de tous les partis importants et locaux peuvent être impliqués dans de telles pratiques. »